Viviane de Montalembert

Viviane de Montalembert

Courrier :
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SUITE…

 

 

La contrition de Pierre
Une approche du ministère pontifical dans la tourmente actuelle

Sur un plateau de télévision étaient réunis ce samedi-là : un homme marié, père de famille et formateur de jeunes en milieu chrétien, un prêtre occupant une position éminente dans sa paroisse, et un journaliste bien connu pour sa contestation de la hiérarchie ecclésiale. Ils étaient invités à donner leur avis sur les scandales de pédophilies qui éclatent en ce moment dans l'Église catholique. Le premier défendait avec fougue l'honneur de l'Église et reprenait à son compte les derniers arguments en provenance du Vatican qui fustigent les "jacasseries médiatiques", soulignant  le pourcentage des prêtres ayant commis des actes pédophiles inférieur à celui relevé dans l'ensemble de la population ; le second, campé dans une posture plus "raisonnable", parlait de sa solidarité aimante et néanmoins critique envers l'Église ; et le troisième, le journaliste, prononça finalement les seules paroles à consonance évangélique qu'il nous ait été donné d'entendre ce jour-là : il a parlé du repentir profond et sincère que l'on est en droit d'attendre de la hiérarchie ecclésiale pour de tels actes.


Mon propos n'est pas ici de commenter le drame des personnes violées mais de m'intéresser à la figure de Pierre telle que nous la proposent les évangiles, et à celle de son successeur au Vatican, au type d'épreuve qu’il est amené à traverser aujourd'hui.

Il se trouve que le lendemain précisément de cette émission nous était donné dans la liturgie du dimanche1 le récit de "la pêche miraculeuse" dans l'Évangile de Jean, celle qui a lieu après la résurrection (Jn 21, 1-19). Pierre a sauté à l'eau, il a rejoint Jésus sur la rive tandis que ses compagnons ramènent le bateau, traînant avec eux le filet plein de poissons (Jean 21, 7-8). À cette image de la multitude des poissons captifs du filet de Pierre — "et le filet ne se déchira pas" (Jean 21, 11) — une autre image immédiatement se superpose : Pierre pris au piège de sa propre ceinture et conduit "là où tu ne voudrais pas", invoquée par Jésus dans sa conversation avec Pierre ce jour-là (Jean 21, 18).

Car la joie des retrouvailles très vite a tourné à la conversation sérieuse : "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?", a demandé Jésus. Trois fois. De la même manière que trois fois il a renié Jésus lors de sa passion, trois fois Pierre a dû l'attester : "Oui Seigneur, tu sais bien que je t'aime". Et trois fois Jésus en a tiré la même leçon : "Sois le pasteur de mes brebis" (Jean 21, 15-17). Ainsi l'intronisation de Pierre comme "pasteur" se trouve-t-elle doublement adossée à l'affirmation de sa foi en Jésus et à la faillite de celle-ci dans la trahison. Cela a de quoi surprendre.

Jésus, obstinément pourrait-on dire, choisit pour chef de son Église un homme qui, en bien des circonstances, oscille entre profession de foi et reniement. Car Pierre est capable des plus belles déclarations mais il n'admet qu'avec les plus grandes réticences d'être conduit par un chemin qu'il n’a pas choisi. Chacun des quatre évangélistes à sa manière en fait la démonstration. Pierre veut accompagner Jésus, à aucun moment ne veut le quitter  — "À qui irions-nous, Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle" (Jean 6, 68) —, mais Pierre en sait toujours plus que Jésus sur la route à suivre, sur la conduite à adopter. Un peu plus haut dans le même évangile, on l'a vu se récrier devant Jésus qui s'apprête à lui laver les pieds : "Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais !". Jésus alors ne lui laisse pas le choix  : "Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi". Pierre finalement capitule.

Dans l'Évangile de Matthieu, on assiste à une scène extrêmement dure, également relatée par Marc : "Pour vous, qui suis-je ?", questionne Jésus, et Pierre le premier a su répondre : "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant" (Matthieu 16, 15-16). À la suite de quoi Jésus, solennellement, l'établit au fondement de son Église : "Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église" (Matthieu 16, 18). Mais comme, l’instant suivant, Jésus annonce sa passion Pierre, prenant son rôle très au sérieux, prétend l’en dissuader : "Dieu t'en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t'arrivera point !" (Matthieu 16, 22). Jésus doit alors fermement le remettre à sa place : "Passe derrière moi, Satan ! tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes !" (Matthieu 16, 23 ; Marc 8, 33).

À aucun moment pourtant les résistances de Pierre ne semblent ébranler Jésus dans le choix qu’il a fait. L’intronisation de Pierre, sa profession de foi et son reniement forment dans les quatre évangiles une séquence stable, à tel point qu’on n’y trouve pas le récit de sa nomination à la tête de l’Église sans que ce récit soit immédiatement précédé ou suivi de la proclamation de sa foi en Jésus et, concurremment, du constat de sa trahison. On pourrait même dire que la profession de foi de Pierre et sa trahison sont indissociablement liées à son ministère, lequel apparaît ainsi dès le commencement marqué du double sceau de l'appartenance consentie et de la contrainte subie. Nous aurons à y revenir lorsque nous évoquerons la situation du successeur de Pierre, le pape actuel poursuivi par les scandales de pédophilie.

"Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères", précise l'Évangile de Luc. De quoi Pierre doit-il donc revenir pour être en mesure d’affermir ses frères ? D’une certaine forfanterie, sans doute, dont il fait preuve en maintes occasions2. "Seigneur, je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort" s’exclame-t-il, juste avant que Jésus, là encore, lui annonce sa trahison  : "Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd'hui que tu n'aies, par trois fois, nié me connaître" (Luc 22, 34). Plus tard en effet le coq chante, et Jésus "se retournant, fixa son regard sur Pierre. Et Pierre se ressouvint […] et, sortant dehors, il pleura amèrement" (Luc 22, 61-613). Ainsi les deux puissances qui s'affrontent dans le cœur de Pierre — profession de foi et reniement — trouvent-elles leur résolution dans un troisième terme  : le dessaisissement de son arrogance coutumière et l’effondrement de ses résistances, ce qu’on pourrait appeler sa contrition — un sursaut de faiblesse qui apparaît comme le seul mouvement nécessaire par lequel Pierre pourra être sauvé et devenir véritablement une référence pour ses frères.

Jean est le seul des quatre évangélistes à ne pas mentionner les larmes de Pierre dans la cour du Grand Prêtre  ; de façon abrupte, il arrête son récit à la trahison : "De nouveau Pierre nia et aussitôt le coq chanta" (Jn 18, 27). La résolution de la contradiction qui habite le cœur de Pierre dans cet évangile est remise à plus tard, renvoyée à la scène d’intronisation à laquelle nous avons assisté au bord du lac. Par sa triple interrogation, nous l’avons vu, Jésus réactive le souvenir de la trahison en même temps qu’il provoque Pierre à une triple profession de foi. Mais Pierre, dans un retour d’amour propre, s'en montre offusqué : "Pierre fut peiné de ce qu’il eut dit pour la troisième fois  : “M’aimes-tu ? ”" (Jn 21, 17). C’est alors qu’on en arrive à la scène de capitulation, qui prend cette fois la forme d’une prophétie émise par Jésus : "En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais ; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas". Il signifiait, en parlant ainsi, le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu. Ayant dit cela, il lui dit  : “Suis-moi”" (Jean 21, 18-19).

Dans ce tableau final, l’évangéliste met en scène l’ultime étape du combat de Pierre et sa résolution dans la capitulation, de telle façon qu’il essentialise cette capitulation pour en faire le principe même de son témoignage "à la gloire de Dieu", le fondement de son ministère et la seule réponse qu’il doive apporter au choix que Jésus a fait de lui à la tête de son Église. Plus encore, il souligne que le "mourir" de Pierre, qui consiste à se laisser mener là où il ne voudrait pas aller, est un mouvement qui pour lui n’est pas nouveau mais toujours à recommencer, et qu'il le sera jusqu’à la fin. Le fait que Jésus ait choisi Pierre plutôt que Jean — celui qui pourtant n’aura pas à connaître ce "genre de mort" — est significatif du ministère lié à ce choix. Pierre est montré dans les évangiles comme un homme qui peine à s’humilier dans l’adversité mais dont la foi, conditionnée à la contrition dont il fera la preuve, finalement triomphera de ses dernières ses résistances.

La situation de son successeur, le pape Benoît XVI confronté aux scandales de pédophilie qui éclatent actuellement dans l’Église semble propre à faire jouer les ressorts spécifiques au ministère de Pierre, et c’est pourquoi il me semble intéressant de l’interpréter à cette lumière.

Le contraste apparu sur nos écrans entre l’expression intensément joyeuse qui s’est lue sur le visage du nouveau pape Benoît XVI au jour de son avènement au trône de Pierre il y a cinq ans, et la physionomie maussade et inquiète qu’on lui voit aujourd’hui, marque pour nous l’écart déjà souligné dans le témoignage de Pierre entre la jouissance d’être choisi par le Christ pour être son vicaire et la contrainte qui lui est liée, de le suivre dans son abaissement. C’est en ce sens que je propose d’interpréter son épreuve actuelle, non pas comme un échec mais comme la chance au contraire de son pontificat, l’occasion unique qui lui est donnée de se laisser mener là où il ne voudrait pas aller : oser présenter au monde le visage de la repentance en laquelle est fondé son ministère, et par là même porter son ultime témoignage en tant que successeur de Pierre. Souhaitons que lui-même il le comprenne.

Viviane de Montalembert 05 10

1. 3ème Dimanche de Pâques, année C, 18 avril 2010.

2. Dans l'évangile de Marc,  on peut lire aussi :  "Même si tous succombent, du moins pas moi !" ( Mc 27, 29).

3.  Voir également Matthieu 26, 75 et Marc 14, 72.

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