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Philippe Lefebvre

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SUITE…

 

 

 

 

 

1er Dimanche de l'Avent. Année A

"Comme un voleur"
Matthieu 24, 45
 
Bien sûr que notre évangile est impressionnant : la venue du Fils de l’homme ressemble au déluge qui a englouti tout le monde ou presque ; le Fils lui-même viendra "comme un voleur" sans qu’on s’y attende. On a l’impression d’un temps à venir catastrophique dont nous ne savons rien. Mais faut-il vraiment, quand nous lisons ce texte, faire comme si nous ne connaissions pas Jésus-Christ, ni l’Esprit ni le Père ? Quand Jésus parle, gardons-nous d’oublier ce qu’il a dit auparavant, depuis qu’il a commencé à parler ! Gardons-nous de faire l’impasse sur ce que nous avons vécu avec lui, en lui et par lui !
 
Point de vue extérieur, point de vue intérieur
 
Si Jésus aujourd’hui annonce des événements étonnants, s’il convoque le ciel et la terre, le déluge, les temps anciens, pour annoncer un avenir mystérieux, c’est au nom de l’intimité que nous avons avec lui. En cette fin d’évangile, les disciples qui l’entendent parler ce jour vivent en sa compagnie depuis des années. Jésus ne les prend pas soudain à revers ; il ne lance pas à brûle-pourpoint un scoop que rien n’aurait laissé présager. Certes, vu du dehors – de l’extérieur de la relation avec lui – tout fait trembler, tout surprend et terrorise ; mais vu du dedans, du lieu où il est "Dieu-avec-nous", Jésus parle de ce que nous avons toujours connu au quotidien. Sa venue, sa présence s’avèrent parfois, dans une existence, un ébranlement – un déluge, pourrait-on dire en terme biblique. Ou bien encore, le cours des choses fait que nous rencontrons des événements qui nous submergent, et nous faisons l’expérience du Christ vivant et présent, au cœur de la tourmente, dans le cataclysme des imprévus de la vie.

Survenant dans une vie ou se montrant au milieu du déferlement des épreuves, il a déjà manifesté "son jour", pour plus d’un d’entre nous, comme un temps qui ressemble "aux jours de Noé". Et quand il dit qu’il viendra "comme un voleur", ne désigne-t-il pas cette manière souvent vérifiée qu’il a de surgir quand on ne s’y attend pas ou quand on ne s’y attend plus ? Jésus est une personne : on ne met pas la main sur lui ; il va et il vient. "Comme un voleur" : cette formule ne fait peur qu’à ceux qui se racornissent dans la crainte qu’on leur prenne quelque chose. Ceux par contre qui vont démunis et ne thésaurisent pas en permanence leur pouvoir, leur savoir et leur avoir, sont habitués à cette façon de vivre.
 
La relation comme remue-ménage
 
Jésus parle en termes puissants, originaux, de cette expérience originale et puissante qu’est le fait de vivre une relation – en premier lieu, une relation avec lui. C’est bouleversant, renversant, plein d’inattendus, cela va à rebrousse-poil, à contre-courant, ça tonifie, ça bonifie, ça intensifie. Ce n’est pas que Jésus soit capricieux (il viendrait quand ça lui chante) ni redoutable (il n’arriverait que pour terrifier tout le monde). Mais – je le répète – il est une personne qui met en demeure ceux qu’il aborde d’assumer leur dimension de personne. Une personne a ses rythmes, ses temps, ses maturations. Que le Christ semble faire irruption un jour, on le ressent comme tel que parce qu’on l’avait déjà expérimenté de manière obscure, cachée. Il ne vient aujourd’hui "comme un voleur" que parce qu’il avait préparé le terrain en venant "comme un mineur" dans nos galeries souterraines. Il n’apparaît comme le déluge que parce qu’il sourd depuis longtemps comme une source. Le remue-ménage dont Jésus nous entretient évoque et inclut mille aspects divers de sa présence ancienne, active, intense.

Le mot qui est traduit dans notre évangile par "avènement" ("tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme", au verset 37), est en grec le terme "parousia". Ce nom désignait volontiers en Grèce la venue d’un grand personnage ; mais si l’on souligne dans nos traductions l’aspect de "venue" (ce que signifie le terme "avènement" et aussi celui d’ "avent"), le sens premier est "le fait d’être (ousia) à côté (par-)". La parousie, c’est quand un personnage est là, à nos côtés. La parousie du Christ ne correspond donc pas du tout à sa venue dans notre monde qu’il n’aurait jamais visité ; c’est bien plus, le dévoilement1 de sa présence insistante, permanente, agissante, au milieu de nous.
 
"Ils ne se doutaient de rien"
 
"Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a tous engloutis". Ces gens qui ne voyaient pas venir le déluge, croyez-vous qu’ils voyaient auparavant quelque chose d’autre ou quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes ? Là encore, Jésus parle bien plus de faits quotidiens constatables que de mystérieux moments où tout le monde aurait été pris au dépourvu. Les habitants de la terre au temps du déluge faisaient le mal aux yeux de Dieu (Genèse 6, 5). Qu’est-ce que faire le mal ? Après tout, "ils mangeaient, buvaient, se mariaient" : rien là que de très normal et de très pacifique. L’évangile selon s. Luc, en rapportant le même épisode (Luc 17, 26-27), ajoute même qu’à l’époque, on bâtissait et on plantait : merveilleux temps donc, où les gens pensaient à l’avenir de leurs héritiers ! Et pourtant Dieu les a détruits. C’est que le mal dont il a horreur naît d’une certaine manière de faire tourner son petit monde, de vivoter en ne pensant qu’à soi-même, à ses petites magouilles, à son petit train-train, à son pouvoir bien dissimulé derrière le cours tranquille des choses que l’on fait aller.

Ceux qui vivaient, ceux qui vivent, ainsi n’ont aucun regard pour autre chose que pour eux-mêmes, leur intérêt, leur "surface sociale". Insensibles au déferlement de la misère du monde, ou simplement à la présence des autres, comment voulez-vous qu’ils soient attentifs aux signes du déluge qui vient ? La seconde lettre de Pierre affirme que, quand Noé bâtissait son arche, il faisait une "prédication" ou une "annonce" par le fait même (2 Pierre 2, 5). Construire un immense vaisseau et réunir tous les animaux de la terre devait mettre la puce à l’oreille de son entourage. Mais non : rien ne s’est passé ; Noé a fait figure d’original un peu fou et les braves gens qui l’entouraient ont continué à faire marcher le commerce. Ils n’ont pas plus vu le déluge arriver qu’ils n’ont eu d’yeux auparavant pour quoi que ce soit d’autre qui dépassait leur périmètre limité.

Ils végétaient aux antipodes de ce que signifie la vie personnelle que nous avons évoquée plus haut, que la présence percutante de Dieu.
 
Discerner
 
Notre évangile débouche sur la nécessité du discernement. Les mêmes mots ("comme le déluge", "comme un voleur") peuvent être entendus avec terreur, selon une étrange vision de Dieu : le maître arbitraire et fou qui menace de tout casser et d’arriver à l’improviste ; ils peuvent aussi claironner comme une bonne nouvelle ; le Christ viendra comme il est toujours venu, comme il est à chaque moment : dans le joyeux bouleversement que sa présence déclenche, dans l’inattendu de ses faits et gestes qui sauvent. Certains vivent selon ces rythmes vivifiants, d’autres sont recroquevillés dans ce qu’ils s’imaginent être leur acquis. Et quand deux personnes relevant de ces deux attitudes opposées reçoivent la visite de Dieu, "l’une est pris, l’autre laissée". Dans cette formule étonnante, "l’une est prise", j’entends volontiers résonner une expression biblique. Quand Dieu "prend" quelqu’un, c’est que cette personne vit sur le même registre que Lui. Après avoir fait un jardin magnifique, "Dieu prit Adam et le déposa" dans ce parc mirifique (Genèse 2, 15). Dieu l’attend, l’emmène, le destine à un lieu épanouissant. La Genèse évoque aussi Hénoch (Genèse 5, 21-24) qui "marchait avec Dieu" ; un jour, "il ne fut plus vu, parce que Dieu l’avait pris". Hénoch a connu un jour la Parousie de Dieu (Dieu l’emmène avec lui) comme il a vécu la parousie au jour le jour (en marchant aux côtés du Seigneur).

Ce discernement, il s’exprime enfin dans la formule, propre à l’Avent, de la "veille". "Veillez" dit Jésus. On pourrait traduire plus littéralement ce verbe par : "Soyez éveillés2". Il n’est donc pas question de "prendre garde" comme si tout pouvait arriver à tout moment, tant Dieu manierait avec férocité un pouvoir discrétionnaire dément. L’exhortation entraîne plutôt dans cet état d’attention que nous avons mentionné. À l’inverse de ceux qui pâtirent du déluge, il s’agit d’avoir les yeux, le cœur et l’intelligence perpétuellement ouverts quand la vérité et la vie se manifestent.

Philippe Lefebvre 11 10

1. Ce que signifie exactement le mot apocalypse.

2.Le verbe traduit par « veiller » est ici grègoreïn dont est la base du prénom Grégoire, littéralement : l’Éveillé.

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