à Propos

Philippe Lefebvre

Courrier :
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Du même auteur

Habemus papam", de N.Moretti  11 11

"Discours" chrétien et parole de Dieu

Le Fils dans la nuée

Harry Potter est-il dangereux ? 11 05

Repères ou convenances ? 10 07

Qui parle au commencement ? 10 07

SUITE…

 

De la même série

Mais où est donc passée la liberté ? vm 11 07

"Juste-parmi-les-nations" vm 01 07

Caricaturer Dieu pl 02 06

"Discours" chrétien et parole de Dieu pl 02 06

Harry Potter est-il dangereux ? pl 11 05

"Jeanne captive"

Un film de Philippe Ramos, 2011

 
Un personnage énigmatique, indéchiffrable : voilà ce qu’est la Jeanne proposée par Philippe Ramos. Comme cela a été dit mainte fois, les films sur Jeanne d’Arc abondent depuis plus de quatre-vingts ans. Ramos s’intéresse – son titre le dit – à la captivité de Jeanne. Elle est retenue prisonnière par Jean de Luxembourg, un grand seigneur sans scrupule, qui la vend aux Anglais pour une somme conséquente. Le film part d’une scène impressionnante : Jeanne se jette de la tour où elle est détenue – pour être recueillie par des anges et s’enfuir ou pour se suicider ? Elle est soignée par un rebouteux local, plein de sympathie pour elle, qui temporise pour qu’elle soit vendue aux Anglais le plus tard possible ; puis elle est livrée à une escouade anglaise qui l’emmène jusqu’à Rouen. Le procès est signalée par quelques notes sur l’écran, on ne voit que les flammes du bûcher qui l’a déjà consumée, puis ses cendres répandues dans la Seine. Le film est sobre, d’une beauté économe, ciselée. Des scènes de confinement (les endroits de détention) et des horizons immenses alternent : l’arrêt près du Crotoy où Jeanne voit pour la première fois la mer est un des passages marquants du film.

Ce film n’emporte pas l’adhésion, et c’est là sa grandeur. Jeanne demeure avec son mystère – mais je préfère dire décidément son « énigme », tant le mot mystère charrie de présupposés et fournit en fait déjà une réponse. Est-elle une jeune fille simple qui a entendu des voix, qui a eu son heure de gloire en obéissant à ces appels, et qui un beau jour, abandonnée par Charles VII qu’elle a contribué à faire couronner, sort de ses songes et se retrouve seule, réduite à elle-même ? Rien ne permet jamais de conclure. Le royaume d’Angleterre dont on aperçoit les falaises au loin, au-delà de la mer, est-il après tout une terre « bénie par Dieu » comme le dit le capitaine anglais ? Le « fol en Christ » qui semble avoir compris qui est Jeanne et tente d’ameuter la foule pour empêcher son exécution est-il vraiment « en Christ » ou est-il tout simplement un allumé que l’ascèse a détraqué ? Jeanne entend-elle des voix, elle qui n’a plus prié depuis quelque temps, où est-ce le bruit de la mer, un élément nouveau pour elle, qui l’impressionne ?

Dans un monde brutal, que mènent des puissants hautains (Jean de Luxembourg) et où grouille une soldatesque triviale, les seules certitudes qui restent sont les rencontres : Jeanne marque le guérisseur qui s’occupe d’elle (mais voit-il en elle l’épouse qu’il a trop tôt perdue ?) ; elle hante le capitaine anglais qui la conduit à Rouen sans ménagement particulier ; elle impressionne un moine qui cherche à la sauver sans succès ; elle est reconnue par cet ascète étrange, le seul qui fasse en son honneur une cérémonie funèbre peu banale.

Le film n’a pas de message, ne défend pas une cause ; il reste – et cela doit être très difficile à réaliser – dans une espèce de suspension du jugement. Le spectateur est déconcerté parce qu’il voulait précisément du spectacle. Il souhaitait aussi peut-être faire partie des jurés de Jeanne, prêt à se déclarer pour ou contre, pourvu qu’on lui présente sa cause avec quelque conviction. Mais ces désirs se retrouvent dans une impasse. La sainteté va de pair avec de l’indécidable. Pourquoi Jésus n’a-t-il pas convaincu son public, même avec des miracles et quelques résurrections ? Est-il finalement un de ces messies agités comme il y en avait tant : les Actes des Apôtres donnent même des noms de contemporains (Actes 5, 36-37) ?
Le critique du journal La Croix, Arnaud Schwartz, fait un éloge mitigé du film, disant à la fin qu’il « ne parvient toutefois pas à convaincre entièrement. La faute, en partie, à des dialogues plutôt pauvres. Comme s’il manquait de l’épaisseur au mystère qui permettrait de basculer tout à fait de la puissance au souffle pour se laisser réellement emporter ». Il me semble qu’il dit, sous forme de reproche ce que, justement, Philippe Ramos a voulu faire : ne pas tout de suite recourir au « mystère », ne pas entraîner ses spectateurs dans un basculement évident. Étonnamment, la critique de L’humanité, Dominique Widemann, me semble avoir mieux perçu le film ; elle parle à la fin de son texte – rempli de termes religieux - du fol en Christ qui a reconnu Jeanne et comprend à quel point son offrande funèbre par son humilié « achèvera presque la création ». De fait, le film se termine par une sorte de scène paradisiaque – trop humaine ou effleurée d’une vie venue d’ailleurs ?

En parlant d’indécidable, je ne veux pas dire que ce film laisse dans une incertitude finalement douillette : chacun pourrait choisir de « basculer » où il veut. L’indécidable place chacun au seuil de ce qui fait le rayonnement ou l’atonie d’un être. Il débarrasse le terrain du parasitage des causes évidentes et des bons sentiments, et nous place dans le désert. Cela me semble salutaire. 
Philippe Lefebvre
 
 

 

LA LETTRE
vous informe
de l'actualité de
LaCourDieu.com

Votre courriel :

Merci d'indiquer
le n° du jour (ex: 21 si
nous sommes le 21 juin).