Mot à Mot


Philippe Lefebvre

Courrier :
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Du même auteur

Matthieu 13, 1-9 "Parole semée"

"Discours" chrétien et parole de Dieu

Le Fils dans la nuée

Harry Potter est-il dangereux ? 11 05

Repères ou convenances ? 10 07

Qui parle au commencement ? 10 07

SUITE…

De la même série

Écouter sans entendre Mt 13, 9 14-15 pl

L'entretien de Jésus avec Moïse et Élie Mt 17, 1-9 pl

Bienheureux ceux qui… Mt 21, 28-32 jpbo

Beaucoup d'appelés et peu d'élus Mt 22 1-14 jpbo

Comme un voleur Mt 24, 45 pl

 

 

 

 

 

26ème Dimanche du Temps ordinaire
 
 
Les publicains et les prostituées en tête
Matthieu 21, 28-32
  
Il est très important de prendre acte des interlocuteurs à qui Jésus adresse sa parabole des deux fils : "les prêtres et les anciens", autrement dit des gens de l’establishment religieux qui ont déjà résolu de le faire disparaître. La parabole qu’il leur adresse est faite sur mesure pour eux. Elle présente deux hommes qui ne savent sur quel pied danser : l’un dit "non" à son père, mais il fait quand même ce que ce père lui a demandé ; l’autre accepte très respectueusement la demande ("oui, seigneur"), mais rien ne se passe ensuite. Les chefs religieux que Jésus interpelle sont des gens qui l’observent depuis longtemps, qui ne savent pas très bien comment réagir devant ce maître galiléen. Juste avant notre évangile, Jésus leur a cloué le bec par une répartie audacieuse (Matthieu 21, 23-27). Il continue sur sa lancée en leur lançant cette parabole, non sans ironie : "Que pensez-vous de ceci ?".
 
Pinaillage
 
Les deux fils que Jésus mentionne sont des pinailleurs : "oui, non ; non, oui". Pas vraiment des gars simples ; on ne sait finalement jamais à quoi s’attendre avec eux. Des discutailleurs, des chipoteurs. C’est donc comme si Jésus disait à ses contradicteurs : "Vous ne savez pas très bien quoi dire de moi ; vous me craignez parce que je parle et agis avec autorité, mais vous voudriez bien m’évincer parce que je dérange votre pouvoir. Alors, puisque vous discutez, débattez, pesez le pour et le contre, sans jamais interroger Dieu, je vais vous raconter une histoire que vous comprendrez : celle de deux gars qui ergotent, qui hésitent, qui tergiversent. Et tant qu’à faire, il vaut mieux être celui qui lance un "non" cinglant à son père, et puis change d’avis, est pris de remord (le même verbe est appliqué à Judas en Matthieu 27, 3). Si vous ne pouvez faire les choses par amour, faites-les à cause d’un remord qui vous fait au moins sortir de votre refus, de votre emmurement".

Dans la parabole des deux fils que propose l’évangile de Luc (Luc 15, 11-32)  — l’aîné et le prodigue ­— que j’ai déjà commentée sur ce site, on trouve également deux garçons peu sympathiques : un râleur et un écervelé qui n’hésite pas à faire comme si son père était déjà mort en lui demandant sa part d’héritage. Ce second est vite à cours d’argent et décide de rentrer chez son père ; il prépare un petit laïus pour demander pardon. Dès que son père le voit revenir, il se précipite vers lui et le couvre de baisers. Le jeune homme récite cependant son discours sans se laisser commotionner par ce père qui l’accueille ainsi. Mais au moins, il est revenu, au moins il a fait amende honorable. Jésus, quand il raconte cette parabole, s’adresse aux Pharisiens et aux scribes qui grincent des dents contre lui (Luc 15, 2). Elle est, là encore, faite sur mesure pour eux : "Quitte à vous comporter comme des gens qui râlent (l’aîné) ou qui dilapident le trésor qu’ils ont reçu en héritage (le cadet), devenez au moins penauds, sinon vraiment contrits, et baissez les armes".

Car en tout cela c’est la relation à Dieu qui est en question : le Père qui ne cesse de chercher ses enfants, le Fils qu’il a envoyé et l’Esprit qui demande à être accueilli sans retour.
 
Ceux qui ont cru
 
En contraste avec ces gens qui barguignent sans cesse, Jésus met en lumière "les publicains et les prostituées". Comme il le dit expressément, dès que ces personnes ont entendu Jean-Baptiste prêcher, elles ont cru à sa parole. "Croire" est un verbe lourd dans les évangiles. Il désigne le fait de reconnaître une vérité qu’on connaissait déjà obscurément, qu’on vivait confusément ; il implique un engagement corps et âme. Or, les publicains et les prostituées ont reçu et compris ce que Jean annonçait. Ils n’ont fait ni une ni deux, ils n’ont pas atermoyé indéfiniment ni changé d’avis. Ce ne sont pas des "non, oui" ni des "oui, non", mais des "oui, oui" ! La parabole, faite pour les pinailleurs, ne résume pas toute la réalité possible. Elle amène à un autre registre que ne peuvent pas comprendre les râleurs et ceux qui se défilent : celui de la parole reçue et acceptée, celui de la rencontre vécue dans la joie.

De manière une fois de plus audacieuse, aux prêtres et aux anciens Jésus donne en exemple les publicains et les prostituées, autrement dit la lie de la société, les impurs par excellence. Il va même plus loin ; il affirme : "Les publicains et les prostituées ont cru en lui, mais vous, tout en voyant cela, vous n’avez même pas été pris d’un remord ultérieur pour croire en lui". Le fils aîné de la parabole "fut pris de remord" et se rendit à la vigne, mais les prêtres et les anciens n’ont pas eu ce mouvement qui aurait pu les mettre sur les traces des publicains et des prostituées ; ils n’ont été que "non" à Jean qu’ils ont méprisé comme Jésus le leur fait souvent remarquer, et "non" encore, même quand ils ont vu quels fruits produisait la prédication de Jean. Car, c’est bien ce que Jésus dit : vous auriez dû au moins vous mettre à la suite de ces gens que vous dédaignez et qui vous précèdent dans le Royaume.
 
Interprétation discutable

 
Je ne suis pas d’accord à ce propos avec ce que dit la sœur Emmanuelle Billoteau dans le Prions en Église de ce mois (n° 297, p. 172) dans son commentaire de notre évangile. Parlant des publicains et des prostituées, elle dit : "Qu’ont-ils fait, sinon changer de conduite pour s’ajuster à ce qu’ils avaient reconnu comme la volonté du Père et comme un chemin de vie ? Cette attitude suppose un cœur ouvert et disponible à la parole de Dieu, une capacité à questionner nos options antérieures et à y renoncer, une liberté intérieure pour se reconnaître sur un chemin sans issue…". Non ! Cela ramène à un moralisme qui, évidemment, rassure les braves gens, ce que Jésus profère sur un tout autre registre. La commentatrice fait comme si les deux fils de la parabole étaient représentés par deux groupes en présence. D’une part les publicains et les prostituées (ils seraient censés avoir dit "non" en pratiquant leurs professions compromettantes, et diraient "oui" quand ils entendent Jean-Baptiste et adhèrent à sa parole), d’autre part les prêtres et les anciens qui diraient pieusement "oui" des lèvres et n’en feraient rien ensuite. Cela mettrait d’une certaine façon sur un pied d’égalité les uns et les autres ; mais ce n’est pas le cas. Encore une fois : la parabole est adressée aux autorités qui tournent en rond dans leur rapport à Dieu. Ils ont raison – leur formation théologique et liturgique leur en donne les moyens – mais ils ne sont pas dans la vérité et bientôt ils mettront à mort le fils de Dieu. Les autres, publicains et prostituées, sont indéfendables sur toute la ligne, mais ils accueillent immédiatement la parole de Jean et bientôt on en verra autour de Jésus : la prostituée au parfum (Luc 7), le publicain Matthieu (Matthieu 9,9) ou Zacchée (19, 1-10), l’homme crucifié à côté de Jésus (Luc 23, 39-43), etc.
 
Mise aux normes ?
 
Il n’est pas d’abord question de normalisation de leurs activités qui puisse les rendre d’emblée acceptables ; il n’est pas non plus question de nous faire applaudir avec bienveillance, nous le jury, une fois le ménage fait dans leur vie, à l’accueil qu’ils ont réservé à la prédication de Jean. Jésus les propose à notre regard dans ce moment où, comme ils sont, ils s’ouvrent pleinement à la parole de vérité. Cette ouverture manifeste qu’ils étaient déjà habités et travaillés par cette vérité, même dans les cloaques où ils vivaient. C’est ce qu’on appelle en terme technique : la bonne nouvelle.

Pour les râleurs, cela est peut-être inquiétant. Les arguments ne manquent pas : fait-on alors l’apologie de la prostitution et de l’amoralisme ? Mais cela ne vaut pas la peine de répondre. "Les publicains et les prostituées entrent en premier dans le Royaume". Cette phrase est à prendre ou à laisser. Sans prendre de précaution (ils se sont convertis, ils ont changé de vie, ils sont devenus des piliers de sacristie, ils ont fait partie de tas de mouvements pieux), Jésus nous laisse avec cette phrase. Qui a des oreilles, qu’il entende!
 
 Philippe Lefebvre 09 11
 

LA LETTRE
vous informe
de l'actualité de
LaCourDieu.com

Votre courriel :

Merci d'indiquer
le n° du jour (ex: 21 si
nous sommes le 21 juin).