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L'Affaire Williamson

Négationnisme 2


Merci à ceux qui m'ont écrit ou dit de vive voix leurs réactions, favorables en l'occurrence, concernant le précédent article. Je voudrais prolonger la réflexion et être davantage explicite. On a beaucoup parlé de cette affaire qu'on est apparemment en passe d'oublier maintenant. J'en rappellerai rapidement deux ou trois aspects avant d'en arriver au fait.

Il faut comprendre le désir du Pape de ne pas laisser une situation de schisme s'installer ; c'est une disposition que je comprends et à laquelle j'adhère : la vocation de l'Église n'est certes pas de se diviser inéluctablement, mais de témoigner de son unité. Pour ce faire, il convient d'agir, de sortir de la stagnation, de proposer aujourd'hui ce qui n'était pas possible hier. C'est ce qu'a fait Benoît XVI et je me réjouis que ce dossier ait ainsi avancé. Tout a-t-il été suffisamment préparé par les services concernés ? Toutes les enquêtes ont-elles été faites ? Plusieurs cardinaux sont intervenus pour souligner ce qu'il est convenu d'appeler des "dysfonctionnements". C'est une manière, dans les entreprises et les administrations, de dire que la routine et le mauvais vouloir l'ont emporté sur la volonté de servir le bien commun, que l'étanchéité des bureaux, constitués en îlots autarciques, n'a pas permis la saisie cohérente du dossier à traiter.

Bref, les choses ont été insuffisamment concertées, imprudemment conduites, maladroitement présentées au grand public. Cela arrive. Il est loisible de trouver pour les uns et pour les autres des circonstances atténuantes. Soit.

Demeure la question du négationnisme de Mgr Williamson. En soi, ce négationnisme est inacceptable. Mais il est encore plus terrifiant parce qu’il constitue la partie émergée d’une conception bien plus globale de l’histoire, fondée sur l’aveuglement volontaire et offensif. A ce titre, j’appelle symptôme le négationnisme de Williamson, et cela sur deux niveaux. Premièrement, tout en se cristallisant sur le déni des chambres à gaz, il manifeste un déni bien plus général : l' « oubli » de la deuxième guerre mondiale et des conflits sanguinaires du siècle comme réalités à penser. Deuxièmement, s'il surgit chez un individu, Mgr Williamson, il révèle un état d'esprit assez courant chez beaucoup de personnes –en particulier beaucoup de chrétiens : l'étrange escamotage des horreurs du siècle, qui permet de prôner un « avant » fantasmatique où tout allait bien et de flétrir un « maintenant » où tout irait à vau-l’eau.

Mgr Williamson et un grand nombre de chrétiens continuent ainsi à dire que les valeurs sombrent, que la famille s'effondre, que le relativisme gagne. Ils prévoient le pire. Ils n'ont, semble-t-il, pas remarqué que le pire est déjà arrivé. La famille a reçu de terribles attaques : elle a été démantelée par la mobilisation des hommes en masse lors des deux conflits mondiaux — des millions n’en sont pas revenus ; elle a été anéantie lors des déportations massives, des épurations ethniques ; elle a été déshonorée par bien des puissants qui ont été des génocidaires notoires tout en ayant mené des vies familiales très convenables, et parfois très chrétiennes. Le visage de l'homme et de la femme, créés à l’image et ressemblance de Dieu, a été ravagé par des idéologies meurtrières : on a voulu scinder les humains en membres de races supérieures, destinés à dominer sur des peuples inférieurs, que ce soit dans l’Europe nazi ou fasciste ou dans les contrées livrées en pâture aux colonisateurs. Ces races inférieures étaient juste bonnes à servir ou à être éliminées. On retrouvait là, importé au milieu du XXè s., les mouvements esclavagistes et génocidaires qui avaient amené, des siècles plus tôt, à déporter des masses de noirs, sans souci des pertes humaines et des traumatismes durables qui étaient ainsi causés, et à massacrer les ethnies d’Amérique avec une ampleur qu’on aurait cru indépassable.

Le relativisme a donc déjà sévi, pendant des siècles, dans des zones chrétiennes, parfois même au nom de la religion (amener à la vraie foi des peuples asservis). Il n’avait pas foncièrement une teneur philosophique ou morale, mais, de manière plus catastrophique, il s’est exprimé dans la vie et la chair de millions et de millions de personnes : aux uns la domination, aux autres la servitude ou l’anéantissement. Les conditions étaient donc vécues comme très relatives, et aujourd’hui encore la réalité d’un génocide est abordée, comme Williamson en témoigne, avec un relativisme atterrant : cela s’est peut-être passé ou peut-être pas ; les opinions peuvent varier.

Ce que je dis là, ce sont des banalités, des évidences. Mais pas pour tout le monde, paraît-il. Ces données semblent ne pas être intégrées dans la pensée de beaucoup de Chrétiens. Notre monde va-t-il à la dérive ? Notre société sécularisée va-t-elle produire des pertes irrémédiables dans la qualité de l’être humain ? On a envie de répondre : regardez en arrière, l’horreur a déjà eu lieu ; elle a eu lieu, de manière privilégiée, dans les pays de vieille tradition chrétienne, des pays policés, humanistes, dans lesquels foi et raison structurent depuis longtemps la pensée. Elle a eu lieu sans que les mises en garde des Papes ou de certains responsables religieux aient aucun effet, elle a eu lieu parfois avec la bénédiction ou grâce à l’indifférence de prélats fanatiques ou aveugles, de chrétiens sans scrupule.

La parole théologique doit être lestée de ce réel-là pour être crédible, audible, pour être fondée sur le réel. Dieu habite le réel et s’y incarne ; c’est là que le Christ demande depuis toujours : « Pourquoi me persécutes-tu ? » (Actes 9, 4), car tout ce qui se perpètre contre les anonymes, contre les petits qui sont les siens, c’est contre Lui que cela est fait (Matthieu 25, 45). Williamson est l’illustration d’une attitude qui fait fi du réel, qui impose ses pseudo-pensées fantasmatiques du temps présent. Lui, et ceux dont il est le « porte-parole symptomatique » pervertissent totalement la parole théologique de vérité. En niant une réalité et une époque pendant lesquelles Dieu a souffert dans les multiples membres de son Corps, ils se placent dans une irréalité dont il pose eux-mêmes les frontières et les enjeux. Le déni opère donc ce prodige : en escamotant la réalité à recevoir, à penser, la réalité qui déstabilise et déplace les repères, il donne une impression diabolique de puissance. « Je pose les idées et les réclamations que j’ai formatées dans le monde étriqué que j’ai construit ».

L’affaire Williamson m’a donné un peu cette impression : de vieux messieurs discutent de sacristie à côté d’un gouffre de souffrances dont ils n’ont que faire. On aurait envie de dire : avant de savoir comme on fait fumer l’encensoir réglementairement prévu par la liturgie romaine, il faut avoir intégré que des millions de corps humains sont partis en fumée.

Philippe Lefebvre 03 09

 

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