Bouch'Bée


Viviane de Montalembert


Dans le nu de la vie, livre de Jean Hatzfeld, vol.1 vm 12 07

Une saison de machettes, livre de Jean Hatzfeld, vol.2 vm 12 07

La stratégie des antilopes, livre de Jean Hatzfeld vm 12 07

Aden, livre d'Anne-Marie Garat vm 05 07

SUITE… 

 

 

 
 
Une saison de machettes
de Jean Hatzfeld. Vol. 2
 
"Une saison de machettes"* vient à la suite de "Dans le nu de la vie", mais c’est un tout autre livre, le même récit mais inversé : le génocide rwandais vu du point de vue des tueurs. Une tentative pour répondre aux questions des lecteurs du premier livre qui "souhaitaient savoir ce qui s’était passé dans la tête des tueurs" (p.49). Comme si les tueurs était détenteurs d’une vérité qui pourrait dans une certaine mesure expliquer, excuser ou même justifier leurs agissements.

Mais ce livre, de l’aveu même de l’auteur, va creuser encore davantage l’écart qui sépare la parole des tueurs de celle de leurs victimes. Là où les rescapés prennent chacun personnellement le risque de dire, les tueurs eux s’organisent en groupe et contrôlent leurs aveux. Ils craignent d’être accusés. "Ils parlent d’une voix régulière, sur un ton de voix familier, qui à chaque rencontre dénote une étonnante impassibilité." D’ailleurs ils n’ont pas de problèmes particuliers, pas de troubles psychiques. Ils ne font pas de cauchemars. Ils sont lisses.

Jean Hatzfeld est accompagné, lors de ces entretiens, d’Innocent Rwililiza, un rescapé de la forêt de Kayumba. Il est son interprète. Le groupe des tueurs interrogés est formé d’hommes emprisonnés dans le pénitencier de Rilima, en attente de leurs jugements : Adalbert, Pio, Alphonse, Pancrace, Jean-Baptiste… Il sont une dizaine, de tous âges. Une bande de copains de la même commune de Nyamata, des cultivateurs tous plus ou moins voisins des rescapés déjà rencontrés "dans le nu de la vie". Des hommes qui depuis longtemps se rencontrent chaque soir au cabaret après leur journée de travail. Des gens ordinaires qui prétendent n’avoir fait, lors les tueries, qu’un travail ordinaire qui ne les empêchait pas d’être, dans le même temps, "friands de bons sentiments" (p.271), gentils avec leurs femmes, attentifs aux enfants. Ils n’ont fait qu’obéir, disent-ils. "On accomplissait un boulot de commande. On se rangeait en fil derrière la bonne volonté de tous" (p.20). Avec, en filigrane, une bonne raison de tuer qui finalement les convainc tous : la terre cultivable se fait rare, "on voyait bien que des parcelles fertiles allaient nous manquer" (p.243). Ainsi, "la détestation [des Tutsis] s’est présentée comme ça [… ], je l’ai saisie par imitation et convenance", explique Pio (p.243).

Imitation et convenance. L'argument paraît dérisoire ! Mais quelles explications les tueurs pourraient-ils bien donner, autres que les raisons qui les ont fait agir, sans commune mesure avec l’ampleur du sacrifice imposé aux victimes ? C’est ce terrible décalage auquel se heurtent les discours sur le pardon, radicalement autres dans la bouche du tueur et dans celle du rescapé. Le sujet, déjà abordé à la fin de ce deuxième livre, le sera plus amplement dans le troisième, "La stratégie des antilopes", que je vous présenterai prochainement.
 
Viviane de Montalembert 12 07
* Jean Hatzfeld, "Une saison de machette", Ed. du Seuil, coll. Points n°1253, Paris, 2003.

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