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Philippe Lefebvre

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SUITE…

 

 

 

 

 

1er dimanche de Carême

Vivre avec le Père : est-ce que ça te tente ?
Luc 4, 1-131
"Pendant quarante jours, Jésus fut mis à l’épreuve par le diable".
Quand on entend cette formule, on pourrait croire que Jésus est réquisitionné pour un examen. Il est âgé d’une trentaine d’années : a-t-il désormais la capacité de soutenir un jeûne exigeant et une confrontation avec son pire ennemi ? Ces fameuses tentations constitueraient une évaluation : physiquement et psychologiquement, Jésus fait-il le poids ? Est-il assez costaud pour nous sauver ?

Or, on peut comprendre les choses tout à l’inverse : c’est Satan qui est convoqué, pas Jésus2. En fait, ce qui arrive aujourd’hui appartient à un genre de situation assez courant. Quand quelqu’un de vivant arrive en un lieu, quand il se comporte d’une manière personnelle et marche donc hors des sentiers battus, il y a toujours des gens pour venir rôder autour de lui. Ces gens flairent que la personne libre et vivante qui est là leur échappe. Elle ne vit pas selon des modèles tout faits, elle ne quête pas l’approbation systématique de tout le monde, elle accepte d’être démunie et ne s’en plaint pas. Alors pour certains, c’est insupportable. « Comment ? disent-ils, voilà un être fragile qui ne vient pas s’agenouiller devant nous pour réclamer notre aide ? Voilà quelqu’un qui semble avoir une place en ce monde sans nous demander nos directives ni notre permission ? Ah ! mais cela ne peut pas durer ! ».

Regardez Jésus. Il vient de se faire baptiser par Jean. Il n’a encore rien dit publiquement, mais déjà il manifeste qu’il reçoit sa vie, non pas des créatures, mais de son Père. Pour inaugurer sa mission, il se rend au désert pour une retraite de quarante jours en présence de ce Père mystérieux. C’est alors que le diable survient, à la manière de ces râleurs dont je viens de parler : ces gens qui ne tolèrent pas qu’une personne se soustraie à leur pouvoir, se dérobe à leur contrôle. Le diable est celui qui ne veut pas concevoir les relations autrement que comme des rapports de force, de domination, de surveillance. Jésus qui évolue devant son Père, sans faire d’esbroufe et sans chercher à prouver quoi que ce soit, le déconcerte complètement.

Le satan pourrait rester à distance, mais non : il faut qu’il vienne tournailler dans le secteur. Il est attiré comme un papillon de nuit l’est par une lampe. Les gens vivants –et Jésus est par excellence le Vivant- par le seul fait qu’ils sont là et qu’ils vivent, aimantent ceux qui se contentent de vivoter et d’épier les autres. Ces gens-là pressentent la vie que les vivants acceptent de recevoir et ils s’approchent d’eux irrésistiblement : ils sont convoqués ; mais en même temps, ils montrent qu’ils ne consentent pas à faire de même : ils sont démasqués.

D’ailleurs écoutez le diable : il se dénonce lui-même. Il ne peut parler qu’en termes de pouvoir, de transaction, de violence : « Si tu es capable de faire ceci, je te donne cela. Si tu es chiche de te précipiter dans le vide, alors on verra qui tu es ». C’est pitoyable. En tant que maître en manipulation, le satan a l’art de se mettre en situation de juge : à l’écouter, il faudrait que Jésus lui rende des comptes et lui montre ses diplômes et ses muscles. On aurait envie de rétorquer au satan : « Et toi ? Tu cites un psaume disant que les anges sont envoyés par Dieu pour servir son envoyé ; mais, aux dernières nouvelles, tu es toi-même un ange. Alors pourquoi mentionner ce que les autres doivent faire sans t’y mettre toi-même ? Pourrais-tu t’expliquer ? ».

Mais non : le diable ne s’explique jamais. Il insinue, il reste extérieur. « Si tu es vraiment fils de Dieu », dit-il à Jésus. Autrement dit, as-tu vraiment un Père qui s’intéresse à toi, toi qui es seul dans un désert à crever de faim ? » Il tente de faire passer pour un préjudice et une source de doutes, ce qui est la bonne nouvelle que Jésus est venu manifester : notre chair fragile, démunie, est dans la main du Père. Et cette gloire à vivre dans notre corps précaire ne se manifeste pas par des signes clinquants. Regardez aujourd’hui Jésus affamé après son jeûne, vous verrez, si vous avez des yeux pour voir, celui dont le Père a dit qu’il est son « Fils bien-aimé ». Regardez-le quelques années plus tard, mis en croix, puis déposé au tombeau, vous contemplerez toujours le même Fils que le Père n’abandonne jamais, contre toute apparence. Mais pour le satan et ceux qui acceptent qu’il leur brouille le regard, Jésus est dans tous les cas un pauvre gars, décidément faible, défaillant, abandonné.

Le diable ne connaît que les jeux du pouvoir, l’existence affirmée au détriment des autres. Alors, forcément, il interprète tout dans les catégories de son monde limité et offensif. Il pressent qui est Jésus et ce qu’il peut faire, mais en dévoyant tout dans ses propos de pervers et de dominateur. Il demande d’abord : « Ordonne que ces pierres deviennent du pain ». Mais ce n’est pas sous ce mode de magie spectaculaire que la plénitude de Dieu se propose. Jésus, qui s’intitule lui-même la «pierre d’angle », donnera son corps à ceux qu’il aime sous l’espèce du pain : c’est l’eucharistie, notre roc devenu pain de vie. Le démon murmure encore : « Si tu te prosternes devant moi, tous les royaumes seront à toi ». Mais ce n’est pas ainsi que la royauté est donnée. Les disciples s’apercevront un jour que, par l’action de l’Esprit saint, des gens de tous les peuples les comprennent quand ils annoncent le Christ ressuscité. Les multiples royaumes où règne Jésus Christ se trouvent partout où, dans l’Esprit, des gens voient et entendent les merveilles de Dieu : ce que l’on appelle la Pentecôte. Le satan dit enfin : « Jette-toi dans le vide ». Mais non : si lui-même est un ange déchu qui ne sait que tomber, Jésus, lui, le Fils, montera un jour dans l’espace, porté par la main du Père, pour aller s’asseoir à sa droite : c’est l’Ascension.

Frères et sœurs, résister aux tentations, ce n’est pas entrer dans des discussions où il faudrait faire ses preuves. C’est suivre le chemin de vie que le Père trace, dans le Christ, guidé par l’Esprit. Vous voulez savoir en ce début de carême comment on s’y prend ? Alors demeurez quarante jours avec le Christ ; il vous expliquera.
Philippe Lefebvre 02 10
 
1Cette prédication a été prononcée lors de la messe radiodiffusée du premier dimanche de Carême 2010, disponible sur http://www.rsr.ch/espace-2/messe/emission_archives_view
 
2La principale source d'inspiration de cette homélie est le livre de Viviane de Montalembert, Voir comme Dieu voit, Parole et silence, 2003, dont je recommande la lecture tout particulièrement en ce temps de carême.

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