Viviane de Montalembert

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Théologie
"Dès le sein…"

Femmes stériles

Le temps de Noël célèbre des naissances d’enfants, mais pas n’importe quelles naissances et pas n’importe quels enfants : des enfants dont les mères dans un premier temps ont été stériles, tel Samson1, Samuel2, et Jean Baptiste3. Et donc des naissances impossibles. Les patriarches à l’origine du peuple d’Israël — Abraham, Isaac et Jacob — ont tous été confrontés à la stérilité de leur femme : Sara était stérile et n’enfanta Isaac, son fils unique, que très tard dans sa vie4 ; Rébecca n’accoucha de ses jumeaux Ésaü et Jacob qu’après un long temps de stérilité5 ; et Rachel de la même manière enfanta Joseph bien longtemps après que sa sœur Léa eut déjà mis au monde plusieurs fils6.

Marie, enfin, accepta de porter l’enfant annoncé par l’ange, mais non sans y risquer sa vie puisqu’enceinte hors mariage elle aurait dû selon la Loi être lapidée, si Joseph l’avait dénoncée.

Donner la vie ou la recevoir, dans la Bible n’a pas grand chose à voir avec le processus biologique selon lequel l’enfant naît de l’accouplement d’un homme et d’une femme. La stérilité est là pour le dire. La femme stérile et la femme prolifique sont, dans la Bible, deux figures qui s’affrontent pour démontrer que la vie n’est pas du côté que l’on croit. "Quand la stérile enfante sept fois, la femme aux fils nombreux dépérit7", s’exclame Anne, la mère de Samuel, après qu’elle a été confrontée pendant des années à l’arrogance de Penina, sa rivale prolifique qui lui faisait honte de sa stérilité.

Or quand ce n’est plus la nature qui permet l’engendrement, on est en droit de se demander qui est à l’origine de cette vie nouvelle qui vient au ventre de la femme, qui véritablement est le père de l’enfant à naître. La démarche d’Anne, après la naissance de Samuel, est sans ambiguïté : aussitôt qu’il est sevré, elle le porte au temple pour qu’il y soit élevé… chez son père, pourrait-on dire ; c’est-à-dire chez Dieu puisque c’est à Dieu qu’il doit d’être en vie. Il n’est donc pas si étonnant pour une oreille exercée d’entendre Jésus, retrouvé au temple à douze ans, dire à ses parents : "Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon père ?8".

« Dès le sein de ma mère »

La vie biologique, nous dit la Bible, n’est pas grand chose si elle n’est pas portée par une autre vie plus consistante suscitée à l’intime du ventre maternel par la seule présence de Dieu reçue et acceptée ; et la chair de l’homme est vouée à la poussière, qui n’est pas le lieu d’une conversation commencée avec Dieu dès avant la naissance : "Dès le ventre de ma mère, tu es mon Dieu9", chante le psalmiste, "Toi, mon soutien dès avant ma naissance, tu m’as choisi dès le ventre de ma mère ; tu seras ma louange toujours10".

Le grand drame biblique qui s’achèvera dans la mort et la résurrection du Christ repose sur ce constat clairement exprimé au début de l’évangile de Jean, que  les êtres humains vivants sur la terre n’ont pas tous fait cette expérience : tous ne sont pas "nés de Dieu", tous dans le ventre de leur mère n’ont pas comme Jean Baptiste bondi de joie à son approche, mais seulement quelques uns : ceux qui l’ont "reçu".

"Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir de devenir enfants de Dieu, ceux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu.11"

"Enfants", du grec teknon, ne se rapporte pas à l’enfance mais à l’engendrement. "Croire en son nom", à l’opposé de ne pas accueillir ou de résister, désigne chez le petit d’homme le geste de s’ouvrir spontanément à la présence de cet autre-avec-lui qui d’abord est Dieu et qui se propose à chaque homme au seuil de son existence. Croire en Dieu dans cette perspective n’a pas grand chose à voir avec la pratique religieuse ou l’appartenance à un groupe quel qu'il soit. Car c’est "dès le ventre" que se noue la relation à Dieu, dès le ventre que l’être humain fait de sa chair la demeure de Dieu avec lui — ou qu’il se l’interdit —, dès le ventre qu’il accède à cette qualité de sa chair portée par cette autre vie appelée "éternelle".

La vie éternelle

La vie "éternelle" ainsi n’est pas une quantité de vie surajoutée à la vie ordinaire et qui serait octroyée après leur mort à ceux qui l’auraient méritée mais, pour "ceux qui l’ont reçu", elle est cette qualité de leur chair vivifiée par la rencontre avec Dieu et accueillante dans le même mouvement à l’existence d’autrui. C’est pourquoi il est dit dans les Évangiles qu’"aimer Dieu" et "aimer son prochain" sont un seul et même commandement12. L’apôtre Jean en fait même le seul critère à quoi l’on peut reconnaître celui qui « aime Dieu » : à ce qu’il ne peut en aucun cas détester son semblable, ni le mépriser. "Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, alors qu'il déteste son frère, c’est un menteur12", professe-t-il.

Pour celui qui est "né de Dieu", l’amour est une nourriture et il est un breuvage, la chair même du Fils fondée dans l’amour du Père et donnée en partage. L’amour selon les Évangiles est affaire corps, il est affaire de chair ; c’est dans le corps qu’il se donne à connaître et à goûter, à travers la chair qu’il se donne à partager. Le "lavement des pieds13", lors du dernier repas de Jésus avec ses disciples, dans l’Évangile de Jean a la même place que le partage du pain et du vin comme corps et sang du Christ dans les autres Évangiles. Partager la chair du Fils et laver les pieds de son semblable obéit au même principe : faire avec lui une seule chair afin d’être associé avec lui à une même vie — pourvu qu’il y consente.

"En vérité, en vérité, je vous le dis,  qui reçoit celui que j’aurai envoyé me reçoit, moi, et  qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé14", dit Jésus. Les disciples de Jésus sont ceux, de toutes religions et de toutes cultures, qui s’avancent vers ceux-là dont la chair est désertée de n’avoir pas connu Dieu — ceux qui "tout le jour entretiennent la guerre15" — pour leur partager la vie qui s’origine dans l’accueil d’un autre clairement identifié dans les Évangiles comme "le Père".

Viviane de Montalembert 01/17

1. Juges 13
2
. 1 Samuel 1
3. Luc 2
4. Genèse 11, 30 ; 16 2
5. Genèse 25, 21
6. Genèse 29, 31
7. 1 Samuel 2, 5
8. Luc 2, 49 ; cf. Isaïe 49, 5.
9 Psaume 21, 11
10. Psaume 70, 6
11. Jean 1, 11-13
12. 1 Jean 4, 20
13. Jean 13

14. Jean 13, 20

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