Courrier : Précédemment : ♦ Pardonner", une |
22ème Dimanche du Temps ordinaire. A "Tu m'as séduit…"Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; "Tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; tu m’as saisi, et tu as réussi", dit le prophète. Un amour ne s’enseigne pas. Il advient. Surprend. Mais pas seulement parce qu’on ne s’y attendait pas, car on peut l’avoir espéré longtemps, l’avoir pressenti, l’avoir expérimenté déjà en quelque sorte, d’avance en avoir goûté le fruit ; et quand il est là, d’un instant à l’autre bondir de joie, se sentir transformé, comme appartenant à un autre monde. "Après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau", et aussitôt : "Je t’ai contemplé au sanctuaire, j’ai vu ta force et ta gloire. Ton amour vaut mieux que la vie : tu seras la louange de mes lèvres !1", chante le psalmiste. Il en est de l’amour de Dieu comme de l’amour humain : il passe la mesure. Un tel amour, il en est d’autres qui l’apprennent comme de l’extérieur d’eux-mêmes. Ils en parlent, s’exercent à y croire, en nourrissent le sentiment, prennent la pose. Ils appellent cela "avoir la foi", ils font "comme si". Adeptes de l’effort vertueux, de l’accomplissement personnel et du progrès moral, ils sculptent leur image, n’ont jamais tort, et font la leçon à quiconque veut les entendre. Ceux-là, qui sont les experts du bien-agir et qui vous regardent de haut, on les trouve partout dans la religion comme dans la vie ordinaire. Réfugiés dans le mépris d’autrui, ils font figure de forteresses imprenables. Aussi le prophète, témoin de la parole, doit-il s’égosiller pour se faire entendre. "Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois crier, je dois proclamer : “Violence et dévastation !”" Comment faire la brèche en effet et atteindre celui ou celle qui, sous des dehors souvent très policés, se moque de vous, et de Dieu par la même occasion ? "À longueur de journée, la parole du Seigneur attire sur moi l’insulte et la moquerie. Je me disais : “Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom.” La parole qui bute contre l’indifférence et le mépris, beaucoup en font l’expérience. Mais comment l’expliquer ? Parler, pour qui est habité par l’amour, est au monde la chose la plus difficile. Car parler n’est pas discourir, énoncer des poncifs et répéter des formules entendues ou lues dans les livres, fusse dans la Bible ou les manuels de psychologie. Parler se situe à l’opposé de l’autosuffisance et du quant-à-soi. Parler est affaire de présence, et c’est affaire de chair. Et d’os. Parler, pour qui a connu Dieu une fois, ne peut se faire sans que soit révélé l’amour qui le configure à l’amour même. "La parole était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir", se lamente Jérémie. La parole, par définition, passe les bornes du convenu et du raisonnable. Parler est un combat où s’affrontent bientôt celui qui est habité par l’amour et celui qui s'en détourne, celui qui s’avance à découvert et celui qui se cache, celui qui perd sa vie et celui qui la garde — deux voies étrangères l’une à l’autre et porteuses chacune de sa logique propre, dont l’issue est sans appel : "Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera2", nous dit Jésus dans les Évangiles. Parler en effet ne va pas sans risquer sa vie et se risquer soi-même pour que triomphe l’amour dans un monde qui lui résiste. Viviane de Montalembert 09 17 1. Psaume 63 (62), 3. |
Mot à Mot