Mot à Mot


Philippe Lefebvre


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SUITE…

 

 

1er Dimanche de Carême
Les tentations au désert
Luc 4, 1-13

Nouvel Adam

Jésus vient d'être baptisé. Le Père s'est alors manifesté, il a pris parti pour son Fils : "Tu es mon Fils, le Bien-Aimé, en toi je me suis complu"(2) (Luc 3, 21-22). Et puis, continue l'évangile, "on pensait que Jésus était le fils de Joseph, fils d'Éli, fils de Matthat", fils de…, fils de…, "fils de Seth, fils d'Adam, fils de Dieu" (Luc 3, 23-38). Fils de Dieu : réalité incontournable. Que l'on soit le Fils engendré avant tous les siècles ou que l'on soit Adam, créé par Dieu, c'est bien d'être fils qu'il s'agit pour un homme. Reconnaître qu'un Père est à l'origine de ma vie et y demeure présent, attentif, actif.

Au commencement de sa vie adulte, Jésus est présenté comme un nouvel Adam qui va résister(3) à "l'antique serpent". On n'entend plus la voix du Père, on n'aperçoit plus l'Esprit sous forme de colombe comme c'était le cas au baptême. On voit un Adam, fragile, affamé, seul au désert. Est-ce que Dieu est absent ? Voilà justement ce que le diable insinue, voilà ce qu'il fait croire depuis les débuts : "Dieu n'est pas là, il se cache et cache quelque chose "(4). Aujourd'hui au désert, les apparences ne plaident-elles pas pour le satan : un type tout seul dans l'immensité inhospitalière, comment croire qu'il a un Père qui prend soin de lui ? Comment imaginer qu'un Esprit de sagesse et de force le remplit?

Résistance

Résister à la tentation, c'est affirmer le Père présent. "Tu es mon Fils, moi aujourd'hui je t'ai engendré" disait Dieu à son messie au début du livre des Psaumes (psaume 2, 7). C'est la parole qu'il a répétée au baptême de son Fils (Luc 2, 22). Cette parole fonde le Fils et tout fils avec lui. Un jour, Jésus enseignera aux disciples sa prière constante(5) : son premier mot en est "Père", sa dernière demande en est "ne nous fais pas entrer en tentation". "Ne pas entrer en tentation" signifie ne pas enter dans les fausses logiques qui nous feraient croire que le Père est absent, que nous sommes fragiles sans recours. Résister à la tentation, c'est ne pas faire le jeu du tentateur.

Quand on part du Père, comme toute la Bible le propose, et pas d'un regard "autonome" sur sa propre faiblesse, on est apte à refuser toutes les propositions réductrices, accusatrices, meurtrières portées contre soi. "Si tu es fils de Dieu" —suggèrent le diable et tous ceux qui répètent ce que le diable dit— tu ne devrais pas manquer, tu ne devrais pas être malmené par les autres, tu ne devrais pas être crucifié. À cette pseudo-logique qui va le harceler jusqu'à la croix (Luc 23, 35-37), Jésus commence aujourd'hui à répondre. Il le fait de manière brève : on ne discute pas avec le diable. Les paroles qu'il adresse au satan sont trois phrases tirées du Deutéronome : l'homme ne se nourrit pas seulement de pain, tu adoreras le seul Seigneur, tu ne tenteras pas ton Dieu. Les mots les plus adéquats pour répondre sont les mots mêmes de Dieu : c'est Dieu qui a parlé d'abord, personne d'autre —Jésus le rappelle par sa pratique (6) .

Le diable contraint à dire Dieu

Jésus montre ce qu'est un fils qui se déploie, un Adam qui résiste à l'ennemi, un homme qui parle et dont la parole porte. En le voyant, en l'entendant, on comprend qu'être fils n'est pas une belle formule : c'est un mode de vie, c'est la vie elle-même. On comprend aussi que l'ennemi de la vie n'est pas d'accord ; il met en cause le fond de cette réalité : "si tu es fils de Dieu".

Mais on n'échappe pas à Dieu ! Les tentations que le diable multiplie désignent d'autant plus la réalité à laquelle il prétend s'attaquer. Comme cela se passe souvent dans la Bible et dans la vie, la vérité s'impose mystérieusement. Ceux qui s'opposent à elle voient soudain leurs boussoles devenir folles : ils croient être aux antipodes de cette vérité, mais en fait elle les aimante. Ils ne peuvent que la dire, en bégayant, en zézayant, mais ils la disent.

Car, que demande le diable ? Trois choses : Es-tu capable de faire du pain ? Es-tu capable de recevoir tous les royaumes ? Es-tu capable de te lancer dans l'espace ? Sont ici désignés en creux, de façon ténébreuse et mal comprise, les grands mystères vivifiants du Christ. Le pain ? Oui, il sait en faire : ce sera son corps donné en nourriture ; "la pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs" (cf Luc 20, 17) deviendra au temps voulu le pain de la vie. Recevoir les royaumes ? C'est ce que la croix annoncera, paradoxalement : "Celui-ci est le roi des Juifs" (Luc 23, 38), c'est ce que la Pentecôte déploiera : l'Esprit dont Jésus est aujourd'hui rempli sera envoyé sur les représentants de toutes les nations et ils comprendront que Jésus est Seigneur (cf Luc 24, 49 et Actes 2) (7) . Se lancer dans l'espace ? C'est le dernier geste que fera Jésus selon l'évangile de Luc : monter vers le Père (Luc 24, 51). Là où le diable pense en termes de chute, d'espace meurtrier, Jésus manifestera sa souverraineté : le Père le fait monter et traverser glorieusement les cieux.

Un Adam et un autre

Je ne fais pas ici l'impasse sur l'âpreté des quarante jours au désert, je ne minimise pas les douleurs à venir de Jésus. J'affirme le Père présent au commencement, le Père qui ne fait pas défection, qui donne l'Esprit à ceux qui le lui demandent.

Est-ce trop beau ? Reprenons ce que nous disions au début et regardons Jésus comme cet Adam qui reprend, récapitule, renouvelle tout. À la fin de sa mission terrestre, il rencontre sur la croix un homme crucifié à côté de lui. Cet homme n'est pas un enfant de chœur comme il le dit (Luc 23, 41). Il se tourne vers Jésus avant que la mort les atteigne. Alors Jésus lui répond : "Aujourd'hui avec moi tu seras dans le Paradis". Le Paradis s'ouvre non seulement devant son occupant légitime, le nouvel Adam qui est le Christ, mais aussi devant son compagnon, son frère, un Adam qui avait mérité condamnation.

Difficile d'entrer dans la vie du Père, d'être fils avec le Fils ? Demandez à ce larron, premier hôte du Paradis.

Philippe Lefebvre 02 07

1) L'évangile du premier dimanche de Carême est traditionnellement celui de la tentation au désert : selon l'année A, B ou C, il est tiré de Matthieu, Marc ou Luc. Cet évangile place le Carême sous le signe de la gloire : le Fils a un Père, il est dans la force de l'Esprit. Si l'on ne part pas de cette réalité première, on ne peut pas entrer en Carême. Pendant cette quarantaine en effet, nous allons entendre parler de péché, d'iniquité, de trahison, d'humiliation. Personne ne peut résister à cela : cela vous broie ou vous fascine. Il est nécessaire d'épouser le mouvement même du Fils —venir du Père et retourner au Père— pour que le réel puisse être envisageable.

2) On pourrait traduire ce verbe de différentes manières pour essayer d'en approcher la richesse : "j'ai acquiescé à toi", "je me suis prononcé pour toi"…

3) Le mot est dans la Préface eucharistique de ce dimanche : le Christ "nous apprend à résister au péché".

4) C'est l'ambiance de Genèse 3 : selon le serpent, Dieu garderait pour lui le fruit de l'arbre car il se méfie des humains ; il leur cacherait le secret d'un savoir qu'il tient à garder pour lui. On s'imagine aussi pendant toute la scène que Dieu n'est pas là ; tel est peut-être le fourvoiement le plus pernicieux du serpent : faire croire que Dieu s'est absenté.

5) Il y a deux versions du Notre Père dans les évangiles : celle, longue, de Matthieu 6, 9-13 (qui est la version que nous récitons), et celle de Luc 11, 2-4, plus brève.

6) Dans l'épisode suivant, à Nazareth (Luc 4, 14-30), la première parole que Jésus adressera à ses compatriotes sera aussi la parole de Dieu : un passage d'Isaïe qui est, comme il le leur dira, ce qu'il a de mieux à leur dire et qui s'applique à eux "aujourd'hui".

7) Rappelons que l'évangile de Luc et les Actes sont fruits du même auteur.

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