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Philippe Lefebvre

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Vigile de la Pentecôte
 
Les fleuves de l'Esprit
Jean 7, 37-39

"C’était le jour solennel où se terminait la fête des Tentes. Jésus, debout dans le temple de Jérusalem, s’écria : “Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : “Des fleuves d’eau vive jailliront de son cœur”". En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint, l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en Jésus. En effet, l’Esprit Saint n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié par le Père".

L’Écriture dit, selon Jésus : "Des fleuves d’eau vive jailliront de son cœur1". Littéralement, Jésus parle de fleuves qui "couleront de son ventre". Cela est peut-être trop concret pour des mentalités peu incarnées, mais dans la Bible on n’a jamais honte de parler du corps que Dieu a créé. La tradition la plus ancienne de l’Église verra cette parole accomplie dans le Christ crucifié, selon notre évangile de Jean (19, 34-35) : un soldat lui transperce le flanc, c’est-à-dire la partie du ventre située sous les cotes, et il en sort de l’eau et du sang. Fleuves de vie du baptême et du sang de l’alliance versé pour nous.
 
L’Esprit nous donne ce que le Christ lui a donné
 
Je voudrais rester sur l’image à méditer de cette eau qui coule abondamment pour ceux qui ont soif. En me laissant interroger par elle, un souvenir m’est venu : une publicité de la télévision française, il y a quelques années de cela, pour une eau minérale. On y disait que cette eau "vous donne les forces que les montagnes lui ont données2". On entendait par là qu’en s’infiltrant dans les strates de roches cette eau s’était chargée de sels minéraux et d’autres substances bénéfiques et qu’elle en gratifiait ceux qui voulaient bien la boire. Qu’est-ce que Jésus enseigne aujourd’hui ? En parlant de l’Esprit saint qui nous est donné par lui, il dit que cet Esprit sort de sa chair, de son ventre, comme une eau qui régénère et vivifie. En s’étant en quelque sorte imprégné de la chair du Christ, l’Esprit s’est chargé de la substance intime de cette chair et il nous la transmet.

Mais il fait davantage encore : de même que le pain et le vin eucharistiques ne sont pas de simples aliments qui donneraient un coup de pouce – ils sont chair et sang du Christ qui se mêlent à notre chair et à notre sang pour que nous devenions ce qu’il est – de même l’Esprit ne se contente pas d’acheminer des sels minéraux christiques pour nous donner un coup de fouet salutaire. Sortant du Christ, il nous configure au Christ qu’il connaît ; il dépose en nous le même principe de vie qui fait que le Christ est vivant, est Le Vivant. Le Prologue, au début de l’évangile de Jean, dit cela d’une manière saisissante : nous recevons "le pouvoir de devenir enfants de Dieu" (Jean 1, 12).

L’Esprit vient du Père comme le Fils ; mais nous connaissons l’Esprit comme celui qui, si j’ose dire, a traversé le Fils pour faire de nous, avec le Fils, les enfants d’un même Père.
 
Imprégnation et mutation
 
Nous le voyons, l’Esprit, a, parmi ses modes d’être, celui de l’imprégnation. Il sort du Fils à la manière de fleuves ; il s’est donc "infiltré" dans le Fils, il s’en est "imbibé". Ce ne sont là que des images pour dire l’intimité réciproque de ces deux personnes envoyées par le Père. Et quand il vient vers nous, tout chargé des saveurs du Fils, de "la bonne odeur du Christ" (2 Corinthiens 2, 14-16), il en agit de même avec nous, en nous. Il nous imprègne, comme une eau bienfaisante, comme une onction, une émulsion. "Il vient au secours de notre faiblesse" dit Paul, il prie en nous, il s’exprime en nous "par des gémissements qu’on ne saurait dire" (Romains 8, 26). Intime du Fils, il est notre intime.

Quand nous recevons l’Esprit, quand nous vivons avec lui, notre définition change : ce n’est plus seulement moi qui vis, qui parle, qui vais et viens, c’est "moi dans l’Esprit", "moi configuré au Christ par l’Esprit", "moi recevant la vie du Père par le Fils et l’Esprit". Telle est sans doute l’intuition de fond de toute la Bible : le Dieu qui s’y révèle n’est pas seulement un autre – le Tout Autre, comme on dit parfois de manière assez agaçante. Il est celui en qui ma chair opère une mutation : je ne suis plus défini simplement par mon statut de créature, je suis uni au Créateur, indissociable de lui. "Je suis avec toi" dit Dieu à Moïse au buisson ardent avant de se présenter comme "Je suis celui qui suis" (Exode 3, 12-14). Le "Je suis" qu’est Dieu comporte la mention « avec toi » qu’il propose à chacun. Cette union indissoluble, c’est l’Esprit qui en est l’agent, l’artisan quotidien. La cheville ouvrière, ou comme le Veni Creator le dit plus poétiquement : il est le "doigt de la main droite du Père".

On parle beaucoup à notre époque du conflit entre créationniste et évolutionniste. Il me semble toujours étonnant que les Chrétiens qui prennent part à ce débat évoquent rarement l’Esprit saint et la mutation de la chair en Dieu que cet Esprit opère. Notre chair connaît une transformation, une transfiguration, qui est le fait de l’Esprit. Des possibilités nouvelles s’ouvrent qui donnent une nouvelle stature à nos êtres. Nous demeurons fragiles, soumis à toutes sortes d’héritages lourds, à des peurs, à des chagrins. Mais il y a du nouveau : nous sommes configurés au Christ par l’Esprit. Regardez les disciples à la Pentecôte : les gens qui les entourent se demanderont comment des pécheurs de Galilée arrivent à citer l’Écriture, à dire des vérités inouïes (Actes 4, 13).

De ces hommes qui auraient pu vivre une vie sèche, des fleuves d’eau vive sortent d’eux et en irriguent d’autres. Ce que le Christ a fait, ses apôtres le font aussi.

Ce n’est pas rien ! Ce n’est pas peu ! C’est justement ce que Jésus nous dit aussi : il nous parle de plénitude.
 
Abondance
 
Jésus parle le dernier jour de la fête des Tabernacles : c’est la dernière grande fête de pèlerinage3 de l’année qui coïncide avec les vendanges. Il nous parle de l’Esprit que les Chrétiens célèbrent – c’est ce que raconte Actes 2 – lors de l’antique fête de Pentecôte, autre fête de pèlerinage : la fête des moissons. Moissons, vendanges, fleuves d’eau vive : l’ambiance dans laquelle Jésus parle est le contraire de la pénurie. L’Esprit ne vient pas au compte goutte : il vient sous forme de fleuves. De même, il y a cinquante jours nous entendions Jésus ressuscité nous engager, pour éclairer sa résurrection, à parcourir l’Écriture en long, en large et en travers : Moïse, les prophètes, les psaumes. En un mot, depuis la résurrection jusqu’à l’Ascension et à la Pentecôte, s’ouvre à nous un monde d’abondance.

Cela paraît fou, impossible, irréaliste. Mais en fait : regardez l’Écriture et regardez autour de vous. Je ne donne qu’un exemple – que j’ai très souvent cité : Jésus voit au temple une veuve mendiante qui, sans que personne la remarque, mis à part Jésus, donne comme offrande deux petites pièces : c’est tout ce quelle a ; c’est "sa vie tout entière qu’elle a donnée" (Marc 12, 41-44 : Luc 21, 1-4)s. Voilà la mutation de l’humain : une femme démunie donne le peu qu’elle a, elle donne ce qui est son tout, gratuitement, pour Dieu et comme Dieu. Elle a les mêmes mœurs que Dieu ; voir le geste de cette mendiante, c’est voir le geste donateur de Dieu. Cette femme nous apparaît dans la lumière de l’Esprit comme une reine de Saba qui apporte ses trésors ; de son sein coulent des fleuves d’eau vive. Sans clinquant, sans triomphalisme, sans pouvoirs paranormaux, voilà ce que peut être cette vie nouvelle, la vie surabondante.

Philippe Lefebvre 05 13

1. Cette phrase n’apparaît pas en tant que telle dans l’Ancien Testament. Jésus, comme cela arrive parfois, propose un condensé de citations. En prononçant une seule phrase, il renvoie à plusieurs passages. Sur l’eau vive qui sort du temple [Jésus parle au temple] : Ézéchiel 47, 1-12 ; Joël 4, 18 ; Zacharie 14, 8. Sur la Sagesse qui donne un fleuve d’eau [le Christ comme Sagesse, thème important chez Jean] : Proverbes 18, 4 et surtout Siracide 24 (en particulier v. 23-33).  Sur les rois nourriciers : Isaïe 60, 16. Etc.

2.http://www.youtube.com/watch?v=eXyeO-NOAkw

3. Aux trois fêtes de pèlerinage (Pâques, Pentecôte aussi appelée la fête des Semaines, Tentes aussi appelée fêtes des Tabernacles), on se rendait au temple de Jérusalem pour y prier et y faire des offrandes.

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