Mot à Mot


Philippe Lefebvre

 

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SUITE… 

 

 

Dimanche de Pâques
 

Un peuple naît auprès d'un tombeau

Jean 20, 1-9


Pierre entre dans le tombeau, puis le disciple bien-aimé y pénètre à son tour. Selon l'évangile de Jean, le tombeau vide est plein ! Et même, il ne désemplit pas : quand Pierre et l'autre disciple seront partis, Marie de Magdala se penchera pour regarder dans le sépulcre et elle y verra deux anges (Jean 20, 12). L'évangile nous enseigne en ce jour de résurrection à ne plus penser selon l'absence et le vide, mais bien en termes de présence et de plénitude.

Deux hommes entrés et sortis du tombeau

Abordons d'ailleurs la réalité de ce matin non pas comme une suite d'actes ratés et incohérents, mais comme une liturgie, riche et juste. Comme cela arrive souvent lors de l'acte liturgique, ceux-là mêmes qui l'accomplissent ne comprennent pas immédiatement ce qu'ils font, mais ils le font et plus tard ils comprendront l'immensité de ce qu'ils ont célébré.

Marie de Magdala est venue au tombeau. Pourquoi au juste ? Rien ne nous est dit à ce propos. Ne trouvant pas le corps du Seigneur, elle fait venir deux disciples et va leur permettre ainsi de vivre une expérience décisive. Ils entrent dans le tombeau et puis ils en ressortent. Ils viennent de mimer le mouvement de leur propre vie, de la conformer physiquement à la vie du Christ. Ils viennent d'accomplir un geste, que bientôt une parole va accompagner —l'annonce du Christ mort et ressuscité— et que la foi va sceller. Entrer au lieu de la mort et en sortir, passer de la mort à la vie : ce qu'ils vivent ce matin est comme un sacrement. Chacun le vit à sa manière : le disciple bien-aimé "voit et croit" ; Pierre sera longuement abordé par le Christ, plus tard : "Pierre, m'aimes-tu ?" (Jean 21, 15-17). L'essentiel est d'avoir fait le geste : passer de la mort à la vie avec Celui qui était mort et qui est le Vivant.

Le ressuscité, c'est moi, c'est toi !

Certains regrettent parfois que l'évangile ne comporte pas de description de Jésus sortant de son tombeau. Là encore, ne pensons pas en terme de manque, comme si une pièce du dossier faisait défaut. Nous voyons en fait deux hommes sortir du tombeau. Cela signifie que la résurrection n'est pas seulement celle du Christ : c'est déjà la mienne, la nôtre, qui est en jeu. Croire au Christ ressuscité : pourquoi pas ? Mais croire en moi ressuscité avec Lui : c'est là souvent que le bât blesse. Notre évangile le proclame à chacun de nous : ce matin, c'est de toi que l'on parle. Es-tu prêt à ressusciter, en es-tu désireux ? Pierre et l'autre disciple sont nos délégués pour accomplir déjà ce passage à la vie. Si le disciple bien-aimé n'a pas de nom (est-ce Jean ou un autre ?), c'est pour inviter ceux qui le veulent à mettre leur nom sur sa silhouette. La personne énigmatique qui avec Pierre entre et sort du tombeau, et si c'était toi ? Le "bien-aimé" : et si c'était le nom que le Christ aujourd'hui veut te donner pour toi qui passes à la vie en lui, par lui et avec lui ?

Dira-t-on encore que Jésus n'est pas là ? Mais si Pierre et l'autre disciple sont dans le tombeau, si moi-même aujourd'hui j'y suis, alors le Christ est là. Jésus l'a souvent dit aux siens : "je demeure en vous" et encore "qui vous accueille, c'est moi qu'il accueille". La résurrection du Christ, nous la voyons en direct : en la personne de Pierre, en la personne du bien-aimé, en ma personne.

Car le Christ n'est pas là pour jouer le grand frère qui fait tout, qui doit sans cesse faire ses preuves. Tout ce qu'il fait, fais-le avec lui. C'est en ta chair que s'achève ce qu'il a inauguré en la sienne. S'il s'incarne, sois comme lui et avec lui dans la chair ; s'il meurt, meurs avec lui dans tous les tourmentes de l'existence ; quand il ressuscite, ressuscite avec lui. Son Dieu est ton Dieu, son Père est ton Père (cf Jean 20, 17), sa résurrection est la tienne. Le peuple de Dieu est fondé sur cette pratique quotidienne, sur ce passage de la mort à la vie auquel chaque membre du peuple est appelé.

Marie, l'Épouse, à l'orée d'un monde nouveau


Revenons à Marie. L'évangile ne nous dit pas pourquoi elle est là. Elle y est, tout simplement. Quelque chose, ou mieux : quelqu'un en sa chair sait qu'elle doit être là. Folie aux yeux des hommes : qu'y a-t-il encore à vivre auprès d'un tombeau fermé par une lourde pierre ? Grande liturgie pleine de sens dans le registre de la plénitude auquel Marie a goûté quand elle fréquentait Jésus. Même si tout n'est pas explicite pour Marie, elle a raison d'être là ; elle ne s'est pas trompée.

En faisant venir les deux disciples, elle s'inscrit dans le mouvement inauguré à la croix. Jésus avait donné un fils nouveau à sa mère : son disciple bien-aimé. Le fils en amène un autre : aux yeux du monde, Marie perdait son fils unique ; dans la lumière de l'Esprit, elle en acquerrait deux. De même Marie de Magdala va chercher non pas un, mais deux disciples : un fils et un autre. Sans que rien soit encore formulé ni même parfaitement compris, elle accomplit les gestes justes. Telle Rahab qui accueillit les deux envoyés de Josué dans la terre Promise (Josué 2), Marie fait venir ces deux émissaires pour les propulser dans le monde nouveau qui commence en ce matin-là. Au premier jour de la semaine, "alors qu'il y avait encore des ténèbres" dit littéralement le premier verset de notre chapitre. Il y a un goût de commencement ce matin, on se retrouve au temps où "la ténèbre était sur les eaux" (Genèse 1, 2), au matin du monde.

Bientôt le Christ, l'Époux qui vient, va se montrer dans le jardin. L'Épouse, Marie de Magdala, le reconnaîtra. Mais leurs retrouvailles ne produisent pas une bulle de bonheur dans laquelle ils vont s'enfermer ; Marie a déjà fait son travail : elle a déjà associé d'autres hommes, les deux disciples, au grand mouvement de la résurrection. Elle a suscité des fils du Père. Femmes et hommes, épouses et fils : un peuple naît.

Philippe Lefebvre 03 08
* Ce texte est également édité, en version abrégée et légèrement modifiée, sur le site dominicain : http://www.retraitedanslaville.org

 

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