Philippe Lefebvre

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SUITE…

Lignes de faille
de Nancy Huston

MAGNIFIQUE ROMAN d'une romancière canadienne (Léméac, où l'ouvrage est d'abord paru, est une maison d'édition canadienne).

L'auteur a déjà à son actif de nombreux romans, des essais, des livres pour enfants. Justement ce livre est composé de quatre récits, censés reproduire les points de vue successifs de quatre enfants, tous âgés d'environ 6 ou 7 ans. Le premier est un petit garçon américain d'aujourd'hui, Sol (2004), le second est son père, Randal, quand il avait le même âge une vingtaine d'années auparavant (1982), le troisième est une fille, la future mère du précédent, Sadie (1962), et le quatrième est la mère de celle-ci quand elle était enfant, Erra, qui porte aussi d'autres noms (1944-1945) : deux garçons, deux filles.

Chaque témoignage vaut pour lui-même : on entend à chaque fois une voix d'enfant particulière, contrastée. Ça sonne juste : on ne bascule jamais dans une admiration intempestive pour l'Enfant. Le premier gamin n'est par exemple pas si sympathique, le deuxième, lui, est très touchant. C'est parfois bouleversant, parfois hilarant (le récit de Sadie est vraiment très drôle). Ce qui contribue à unifier ces histoires, c'est le fait que chacun, si différent qu'il soit des autres, voit les choses avec la compréhension et les affects de ses six ans (aller faire pipi chez des gens qu'on ne connaît pas est une aventure, manger du bacon un bonheur sans nom)¹.

Au fil des récits, une intrigue "trans-générationnelle" se poursuit : tous les personnages sont présents dans la première histoire : le petit Sol est entouré de tous les personnages de sa famille qui prendront ensuite la parole. Et il y a une énigme, insinuée au cœur de cette famille. En fait, d'où vient-elle ? On passe des États-Unis à d'autres pays, en Europe, au Moyen-Orient. À chaque fois, des bouffées de l'Histoire depuis les années 1940 nous parviennent : Bush, Arafat et Begin, Hitler, les jeux électroniques, les Beatles… Notre famille traverse la douleur du précédent demi-siècle. Il y a en elle une contradiction que tel ou telle tente de découvrir, de résoudre.

Finalement, on ne vient jamais de là où on croit, on se découvre parfois solidaire d'un monde qui s'oppose absolument aux appartenances officielles. Le passé, son propre passé familial, faut-il l'oublier ou partir à sa recherche ? À moins que ce ne soit lui qui vous rejoigne.

Philippe Lefebvre 10 06

Éditeur : Actes Sud/ Léméac, 2006 (489 pages; 21, 60€).