à Propos


Philippe Lefebvre

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Consécration
sur un propos de Monseigneur Vingt-Trois
Radio Notre-Dame, émission "Face aux Chrétiens" du 6 novembre 2008. Interview de Mgr Vingt-Trois. Cette émission peut-être écoutée sur le site de la radio.

Le journaliste de La Croix pose cette question : "Un certain nombre d’évêques ont émis le souhait que des femmes puissent lire l’Écriture, puissent jouer ce que l’on appelle le rôle de lectionnaire, qu’est ce que vous en dites ?" *.

Réponse de Mgr Vingt-Trois : "Les femmes lisent l’Écriture tant qu’elles le veulent, je ne pense pas que ce soit une question très difficile. Ce qui est plus difficile, du peu que je connais à travers le diocèse de Tours et le diocèse de Paris c’est que nous avons fait des progrès considérables dans la formation des cadres ecclésiaux. Ce qui est plus difficile c’est d’avoir des femmes qui soient formées, le tout ce n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête." Il rit.
 
"Le tout ce n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête." Bien sûr, tout peut s’expliquer. J’en suis le premier persuadé : c’est une maladresse, le genre de phrase qu’on laisse aller à l’oral et qu’on n’écrirait jamais. Et puis l’auteur de cette phrase, le cardinal archevêque de Paris, a tellement d’autres chats à fouetter qu’il n’est pas opportun de lui chercher noise. Et puis il y a un contexte à cette phrase. Et puis il y a eu une sorte d’excuse, au nom de l’archevêché – sinon de l’archevêque - transmise par sa porte-parole, une femme qui plus est, trois semaines après l’émission. Et puis, il ne manque pas de problèmes plus importants.

Voilà, c’est fait. Comme il n’y a pas de raison d’ajouter un commentaire à cette phrase malheureuse, c’est sans doute qu’il faut le faire. Telle me paraît la raison d’être de la théologie : une fois qu’on a tout expliqué, tout justifié, il reste une insatisfaction, un malaise ; le propos théologique commence alors : "oui, tout est en ordre, mais…".

La phrase en question a choqué bon nombre d’auditeurs, des femmes en particulier. Pourquoi, au fond ? On pourrait très bien mettre cela sur le compte d’une possible maladresse ecclésiastique. Mais il en va de certaines petites phrases comme de certains mots d’esprit selon Freud : ils révèlent une réalité cachée. Or, la révélation, cela intéresse la théologie. À l’école des disciples du Christ, on apprend à voir et à entendre, dans ce que le monde appelle des détails sans importance, tout un monde qui se dit. Les Pharisiens attendent-ils qu’on se lave les mains avant le repas ? Jésus explose, sur la base de cette broutille, pour les prendre violemment à parti ("Malheur à vous…". Luc 11, 37-52). Une mendiante vient-elle au temple jeter ses deux piécettes dans le tronc ? Jésus voit ce que personne ne remarque : elle a mis plus que tout le monde, "toute sa vie" (Marc 12, 43-44). Les mondes cachés, les beaux et les moins beaux, il faut apprendre à les voir. Cachés, cela ne signifie pas qu’ils sont enfouis. Au contraire : ils sont apparents, on vit dedans, ils crèvent les yeux. C’est pourquoi on ne les voit pas.

Monseigneur Vingt-Trois est un homme sûr au point de vue de la doctrine et l’on peut s’en féliciter. Il rappelle les valeurs de la vie chrétienne. Il sait ce qu’il faut dire en général et il le dit. Or, la petite phrase fait prendre conscience d’une inadéquation : la saine doctrine est enseignée, mais ceux qui l’enseignent, qu’en est-il d’eux ?

Il ne s’agit en aucun cas de juger les gens sur la mine, mais de prendre en compte la chair, le corps créé par Dieu, ce qu’il montre, ce qu’il dit, les façons dont il réagit, en particulier quand tout n’est pas préparé au millimètre près, comme c’est le cas dans une interview. Quand on prêche l’incarnation, la nature incarnée de notre condition nous rattrape toujours. On peut argumenter et ergoter sur des mots qu’on a dit ou pas dit, mais la chair, elle, parle d’une manière moins manipulable.
"Ce n’est pas tout d’avoir une jupe, il faut aussi avoir quelque chose dans la tête". Il y a dans cette phrase un parfum désuet : une femme définie comme porte-jupe. On a l’impression d’entendre un propos de brave prêtre d'autrefois. Désuet, un peu réducteur, un peu… comment dire ? machiste. Mais, encore une fois, on pourrait laisser passer. Que des hommes d’Église craignent de changer certaines habitudes de langage et d’état d’esprit pour ne pas sembler donner prise aux égarements modernes sur les sexes, les genres et tout ce qui s’ensuit, on peut comprendre. Qu’il ne faille rien répliquer pour accréditer l’idée que les problèmes de l’Eglise viennent du monde extérieur, mais certainement pas de l’intérieur, on peut aussi comprendre cette stratégie. Mais qu’y a-t-il dans ce propos de plus profond qui ne se réduit pas à une maladresse trop facile à conspuer ?
La consécration dans l’Église n’est pas un bien personnel ni un acquis. C’est un don de l’Esprit que des supérieurs, des communautés, perçoivent, reconnaissent, valident. Cette consécration ne donne pas un droit ; elle fait entrer dans un registre de vie : vivre dans un monde que Dieu se consacre. Le sel est utilisé dans l’Ancien Testament pour parfaire une offrande, pour la qualifier définitivement comme offrande donnée au Seigneur. Devenir le sel de la terre, comme Jésus le dit (Matthieu 5, 13), c’est être saupoudré sur un monde qu’il s’agit d’offrir à Dieu comme un sacrifice agréable. Le consacré assure un exhaussement du milieu où il a été envoyé. Et cela s’entend et se voit, car la chair parle. Il y a des paroles, une attitude générale, qui relèvent le monde : la consécration s’accomplit alors, et d’autres qui troublent ou rabaissent. Il suffit de très peu dans les deux cas pour que l’on sache à quoi s’en tenir.

Si l’on se place dans ce registre de la réalité à consacrer, tout s’équivaut. Dire : "Il ne suffit pas d’avoir une jupe, il faut encore avoir quelque chose dans la tête" équivaut à "Il ne suffit pas d’avoir une mitre, il faut encore avoir quelque chose dans la tête". L’étonnement vient de ce que la première phrase est présentée comme anodine, peut-être maladroite, et que la seconde semble déplacée, insultante. Je n’adresse d’ailleurs cette seconde phrase à personne en particulier ; elle me sert d’exemple. A l’aune de la consécration, ou bien tout est anodin, ou bien rien ne l’est.

Dans tout ce qui concerne les relations entre hommes et femmes, il y a parfois des hiatus dans l’Église. On rappelle la bonne doctrine, on enseigne le mariage chrétien, et cela est juste et bon. Mais ce que l’on dit "à part cela" (comme si la consécration avait ses intermittences et ses moments de relâche) dévoient parfois la vérité qu’on a enseignée. Prêcher la ressemblance d’un homme et d’une femme avec le Créateur et parler "à part cela" de porte-jupes qui n’ont peut-être rien dans la cervelle, cela ne va pas bien ensemble. Quand un homme enseigne l’incarnation, il est censé être lui-même saisi par ce mystère d’être un homme au sens où l’Ecriture nous le révèle. Cela doit s’entendre. Il s’agit certes d’enseigner la vraie doctrine, mais cet enseignement juste rayonne-t-il dans la personne qui l’enseigne ? Appelle-t-il ainsi à "être consacré dans la Vérité" Jean 17, 17) ?

Philippe Lefebvre 12 08
 
* Un lectionnaire est un livre qui réunit des textes bibliques et/ou des textes de la tradition pour accompagner les temps liturgiques.  L’auteur de la question voulait sans doute dire :  "lectrices". 

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