Mot à Mot


Viviane de Montalembert



Un Christ crucifié 1 Co, 22-25

Laissez-vous réconcilier 2 Co 5, 17-21

Il s'est fait obéissant Ph 2, 7-8

Ennemis de la Croix Ph 3, 17-4,1

Tous et un seul, une vieille histoire Rm 5,12

SUITE…

 

 
 
 
 
 
Femme, pourquoi pleures-tu ?
Jean 20, 11-13
 
Marie se tenait près du tombeau, dehors, tout en pleurs. Donc, comme elle pleurait, elle se pencha vers le tombeau; et elle voit deux anges en blanc, assis où avait été placé le corps de Jésus, l’un à la tête et l’autre aux pieds. Et ceux-ci lui disent : "Femme, pourquoi pleures-tu?" Elle leur dit : "Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis."(Jean 20, 11-13)
 
Pourquoi pleure une femme ?
Dans ses larmes, c’est Marie Madeleine toute entière qui se perd et se vide de tout ce qu’elle a connu et aimé du corps du disparu. Dans l’excès de ses pleurs, à son tour elle fait sa plongée — sa kénose1— dans la mort de celui auquel son sort est joint. L’eau des larmes de Madeleine, c’est l’eau qui précédemment a coulé du côté du Christ transpercé — sang et larmes mêlés, pour que naisse un homme nouveau dont on n’a pas encore idée. Pour attendre et voir la nouveauté, il faut ne plus rien savoir et ne rien posséder. Pleurer est pour Madeleine une activité intense et continue, qu’elle fera durer autant que durera sa question.

Au sépulcre, l’Évangile de Jean nous montre deux anges, l’un à la tête et l’autre aux pieds. L’espace du corps absent, de l’un à l’autre est ainsi paramétré, et l’importance de la quête de Madeleine clairement réaffirmée: "Femme, pourquoi pleures-tu ?" questionne-t-ils. Pourquoi pleure une femme, si ce n’est pour la chair d’un homme menacée d’être effacée, réduite à rien ? — "Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis." Aussitôt formulée sa question elle se retourne, comme pour chercher encore. C’est alors qu’elle voit Jésus — elle le voit, mais ne le reconnaît pas — elle ne le voit pas ! Et voilà qu'il lui repose lui aussi la question, y ajoutant : "Qui cherches-tu?" Le tombeau est situé dans un jardin, Jean l’a précisé plus haut (Jn19,41). Ce personnage est donc le jardinier, pense-t-elle — tellement vidée de sa présence à lui, tellement neuve dans sa supplication qu’il faut que ce soit lui — le Ressuscité — qui prenne l’initiative et qui la nomme :
— Marie !
Se retournant (vraiment, cette fois) elle lui dit en hébreu :
— "Rabbouni !", ce qui veut dire "Maître". (Jn20,16)
 
Rabouni


"Maître" ? On attendrait : "Seigneur", comme précédemment. "Maître" désigne le registre de la vérité où elle se tient : il y a plus à comprendre, et elle est concernée. Le déverrouillage du texte n’opèrera ici qu’en faveur de celui qui s’arrachera à la bulle psychoaffective où l’on croit devoir s’enfermer aussitôt que paraît une femme. C’est de vérité théologique qu’il s’agit ici — pas de roman-photo. Pour eux, l’un comme l’autre, il en faut plus, à exigence égale. Ce savoir-là, qui les unit, ne va pas tarder à les propulser l'un et l'autre en direction du Père, et des frères, en vue d’un accomplissement encore à parfaire.

Jésus lui dit : "Cesse de me tenir, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Quant à toi, va trouver mes frères et dis-leur que j’ai dit: je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu." (Jn 20,17)
Quoi qu'on fasse, on l'entend toujours un peu comme s'il lui disait : "Lâche-moi les baskets, casse-toi !" Avant de se prononcer il semblerait bon d'examiner de plus près les relations de Jésus avec les femmes, telles que nous les montrent les évangiles. Jamais il ne les rabroue ; il engage avec nombre d'entre elles des dialogues passionnés, d'où il sort toujours du neuf.

L’Évangile de Jean suit ici de près le dossier déjà ouvert avec la Samaritaine (Jn4). Jésus avait alors mentionné le Père, et les adorateurs qu’il se cherche — "en Esprit et vérité". L’heure vient, s’était-il écrié, et c’est maintenant ! Son discours très vite avait pris des allures de fin du monde : "Levez les yeux et regardez les champs, ils sont blancs pour la moisson" (Jn 4, 35), avait-il lancé au petit troupeau de ses disciples effarés.

Avec Marie Madeleine, c’est le même effet produit, la même hâte, le même bond de l’histoire vers sa fin. Avec elle, dans l’Évangile de Jean, trois rencontres ont lieu, trois gestes de Madeleine qui propulsent Jésus vers un avenir devenu tout à coup immédiatement accessible : Lazare mort, elle tombe à ses pieds — "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort !" ; il en subit la commotion et entreprend aussitôt de le ressusciter (Jn11,32-34). Plus tard, elle prend l’occasion d’un repas entre amis pour lui oindre les pieds d’un riche parfum et les lui frotter avec ses cheveux : par ce geste elle annonce sa sépulture ; il le comprend et il le dit (Jn12,7); et, quelques versets plus loin, il ajoute encore : "Maintenant mon âme est troublée. Et que dire ? Père, sauve-moi de cette heure ! Mais c'est pour cela que je suis venu à cette heure." (Jn12,27) Une femme lui annonce l’heure2, la nouveauté, la suite vers laquelle il doit aller.

Au matin de Pâques, le geste de Madeleine est de le toucher, le saisir, entrer en contact avec ce corps dont elle a perdu la forme première. De même qu’au seuil du tombeau elle l’a pétri d’aromates pour le préparer à une mort programmée, aujourd’hui avec la même application elle le touche: elle fait l’état des lieux, elle entre en reconnaissance3. La portée du geste de Madeleine est à mesurer, une fois encore, dans l'impact qu'il a sur Jésus, à l’action qu’il amorce aussitôt : «Je ne suis pas monté encore vers le Père et, quant à toi, va trouver mes frères...». Monter vers le Père est lié à sa mission de "Christ" ; y aller préparer pour ses amis une place est l’obsession des trois derniers chapitres de Jean, ceux qui précèdent la Passion. Au sortir du tombeau, le toucher de Marie Madeleine assure à Jésus le suivi de son identité charnelle, jusque dans son extension en Corps du Christ Ressuscité. Par son geste, elle le confirme dans sa mission de Fils : récapituler en sa chair tous les peuples — ses frères — pour les porter au Père4.

La paix comme un fleuve

Monter vers le Père et aller vers les frères se résout ainsi, pour Jésus et Madeleine ensemble, en un même acte conjugué au seul vouloir du Père: rassembler tous les peuples, pour les mener à leur accomplissement dans la gloire définitive. Les noces ont commencé, et les femmes en sont sur terre les témoins apaisés.

"Vas dire que j’ai dit...", explique Jésus. ‘Aller-dire—aux-disciples’, Madeleine l’a déjà fait ; mais ‘aller-dire—qu’il-a-dit’ est nouveau. C’est, au sens propre, se faire porte-parole5 ; c’est donner, en sa chair de femme, sa chair d’homme à toucher. On se souvient de la création d’une femme au premier matin du monde, "bâtie" du côté de l’homme endormi6. S’éveillant du tombeau au matin de Pâques, Jésus ressuscité trouve lui aussi une femme en vis à vis. Cette fois, elle a un nom : "Marie!" — chair de sa chair? Ressuscitée, elle aussi ? Rapatriée. Restaurée dans la chair de cet homme "premier né d'entre les morts" (Col1,18) dont elle ne s’est à aucun moment absentée.

Madeleine s’en va donc convoquer les disciples au rassemblement du Père, puis on perd sa trace. Elle se fond dans le paysage, dirait-on. Par l’offrande de Jésus à son Père, la gloire lui est acquise — canonisée, mais sans procès — il y aurait trop à dire ; portée sur les autels par la seule vertu du Christ lui apparaissant au matin de Pâques. En phase avec l’Ascension de son Seigneur, Madeleine disparaît7 . La résurrection — pour elle et pour les femmes — prend forme de consolation, elle a pour nom ‘la paix’. Son expansion, conformément à la prophétie d’Isaïe, se fait à l’horizontale, au profit de la Ville Sainte, du Peuple, et de la création toute entière :

Car ainsi parle Yahvé : "Voici que je fais couler vers elle la paix comme un fleuve, et comme un torrent débordant, la gloire des nations. [...] Comme celui que sa mère console, moi aussi, je vous consolerai, à Jérusalem vous serez consolés" (Is 66,11-12).

Viviane de Montalembert 04 06

1. Du mot grec kenosis, qui signifie « se vider », « s’anéantir ». Ainsi le dit saint Paul au sujet du Christ Jésus : « Il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave...» (Ph 2, 7).
2. Marie, à Cana, l’avait déjà fait : « Et ils n'avaient pas de vin, car le vin des noces était épuisé. La mère de Jésus lui dit : "Ils n'ont pas de vin." Jésus lui dit : "Que me veux-tu, femme ? Mon heure n'est pas encore arrivée." Sa mère dit aux servants : "Tout ce qu'il vous dira, faites-le." » (Jn 3, 3-5)
3. Quand Jésus, quelques jours après, Jésus insistera pour que Thomas qui ne croit pas en sa résurrection, fasse l’exploration des ses blessures, c’est appuyé sur le constat qu’une femme a déjà fait. (Jn 20, 27-28).
4. car Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix". (Col 1, 18-19)
5. Ce geste de Marie Madeleine est à rapprocher des mots de l’apôtre Jean au début sa 1ère Lettre : "Ce que nos mains ont touché du Verbe de vie [...] ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons" (1 Jn 1,1-2).
6. «"Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l’homme, qui s’endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l’amena à l'homme. Alors celui-ci s’écria : "Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée “femme”, car elle fut tirée de l’homme, celle-ci !" (Gn 2, 21-13)
7. À la Pentecôte, parmi les femmes présentes, son nom n’est pas mentionné. C’est Marie, la mère — absente des récits de résurrection — qui, cette fois est nommée. Leurs rôles sont distincts, il faut en tenir compte. À la Pentecôte il s’agit pour les apôtres de naître ; c’est Marie qui, par sa présence, annonce la nouvelle naissance.

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