“Aimez-vous les uns les autres.” Ces mots résonnent une fois de plus. Ils sont devenus slogan du christianisme. Au point d’en être un piège. Parce que aimer est mal entendu. Le monde le situe dans l’ordre sentimental. Le chrétien devrait éprouver des sentiments d’amour pour tous les hommes. Impossible ! Nous sommes pourtant là-dessus, jugé et condamné, au nom même de l’évangile, avec bons sentiments et bonne conscience. Tu ne m’aimes pas… Cependant tu connais l’évangile et prétends le suivre. Accusation. Tentative de pouvoir. Tu ne m’aimes pas, j’en souffre… Donc tu fais mon malheur. Mensonge ! Vouloir faire croire à un autre que vie et bonheur dépendent de lui. Comme s’il était Dieu. En réalité l’assujettir, en faire son esclave.
Ma vie ne dépend pas des créatures. Elle me vient de Dieu, exclusivement. “Celui qui aime est né de Dieu, il connaît Dieu.” La seule condition de la connaissance de Dieu est : aimer. Pas de loi. Pas de religion spécifique. L’homme qui aime est né de Dieu. “Celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu.” Aussi le chrétien qui n’aime pas, ne connaît pas Dieu. “Celui qui aime… Celui qui n’aime pas…”
La seule question : est-ce que j’aime, ou pas ? Il ne peut pas s’agir ici des sentiments. Aimer comme Dieu, c’est désirer totalement, définitivement, la vie pour l’autre. Toujours vouloir la vie de l’autre. La sienne à lui. En dehors de moi. Quoiqu’il fasse. Quoiqu’il me fasse. Continuer de servir sa vie. Quand mes sentiments — dont je suis peu maître — ne peuvent pas changer, si je suis capable de désirer la vie pour celui qui s’est fait mon ennemi, alors je pratique la charité, alors j’aime comme Dieu. “Ne pas vouloir la mort du méchant, mais qu’il vive.” Vouloir l’autre tel qu’il se veut. Autre qui m’échappe. Autre libre. Sans savoir de lui. Sans pouvoir sur lui. La virilité est là. Le reste est sentimentalité maniérée.
“Je vous appelle amis…” Titre rare, employé à tors et de travers. Pour encore lier l’autre, le dominer. “C’est moi qui vous ai choisis.” On ne choisit pas d’être ami. On est choisi.
Ce n’est pas par désir mais par élection. C’est un don. Seul un autre peut déclarer : tu es mon ami. Et il ne le peut que dans le face à face. En présence.
Si quelqu’un te dit : je suis l’ami d’un tel. Méfie-toi. C’est pour s’en servir. Si quelqu’un te dit : je suis ton ami. Méfie toi davantage. Je suis ton ami, donc tu as des devoirs envers moi. Je suis ton ami, cela me donne pouvoir sur toi. Je suis ton ami, toi tu es serviteur, attaché à moi. Je suis ton ami, est flagornerie et abus. L’unique posture est : tu es mon ami. Je suis ton ami, est imposture.
Quittons le langage du monde. Mettons dans nos mots le poids de la vérité. Aimons comme Dieu. Ainsi nous le connaîtrons. Alors il nous appellera : ami !