Écho


Renaud Escande

 

Dans la même série

Écho n°1 "Commencements"

Écho n°2 ""Stérile / fertile 

 

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Écho n°4

La ténèbre
28-30 août 2009

"La ténèbre, mot à l’écart de toute nuit – sans mesure de temps – mot où tous les abîmes et les abysses tournoient sans destination ni destinataire !
Une inflation du fond où l’être en toute perdition est logé non pas pour une nuit ou deux mais bien pour l’éternité et à partir de là, la menue monnaie des journées d’une vie tombe de la grande poche qui se tient au pli noir de son obscurité. 
Journée à lumière de lune, mi gelée, découpée en ogive, à travers laquelle tout mystique marche en serrant dans sa main qui détient le soleil au cœur de visions qui illustrent "la ténèbre"".
Ces quelques mots que je vous envoie, je les ai reçus d’Anne de Staël, absente pour cette rencontre, mais heureusement présente au cœur de ces journées. Dans sa lettre, elle m’écrivait combien elle se sentait démunie, paralysée, sans voix, face à l’objet que nous avons voulu évoquer et traverser ensemble.
 
Paralysée, sans voix, sans repère : bref comme plongée dans la ténèbre.
 
La ténèbre, un mot dans lequel on est seul, isolé, désolé, sans sol, "perdu au monde perdu", écrit Henry Maldiney.

La ténèbre, comme une "journée à lumière de lune", dans le creux de laquelle il n’y a plus rien à espérer, plus de sens ni de pourquoi. C’est un peu l’idée que je me fais, pour prendre un exemple inaugural, de la ténèbre de Gethsémani. Gethsémani, c’est le jardin du pressoir en hébreu. C’est là où les olives, concassées, compressées, comprimées, donnent, dans l’huile qu’elles exsudent, la quintessence de leur saveur. C’est là, dans ce jardin de l’ombre, où, l’âme comprimée, compressée, terrassée, exsude de son corps la sueur de sang. Au jardin d’agonie, Jésus est seul. Ses disciples, à l’écart, ne peuvent le rejoindre au point de solitude où il vacille presque comme avant de s’éteindre. Et les proches, Pierre et Jacques et même Jean, ne peuvent se tenir là, dans ce lieu sans fond de déréliction. L’amitié et l’amour n’y ont plus de place. Matthieu, qui nous donne à voir à sa manière le tragique de Gethsémani, nous écrit que les trois amis de Jésus n’ont pu rester éveillés, préférant succomber au sommeil de l’oubli, et se retirer du devant de la scène. Mais alors, n’y aura-t-il donc que Jésus au jardin des Olives ? Une voix perce le silence de la nuit. L’envoi de la voix qui troue l’espace et ouvre la ténèbre, enfin ! "Abba, Père."

Toute parole, vraie, ne jaillit-elle pas du creux la ténèbre comme de son lieu de départ, lieu sans fond, pour justement l’ouvrir en lui donnant forme au risque toujours de l’étouffer souvent ? Déhiscence de la ténèbre qui mettrait chaque parole d’emblée en échec ; parole qui serait réponse à un appel toujours lancé mais toujours insignifiable.
 
Toute parole, vraie, ne plane t’elle, ne vacille-t-elle pas sur ce lit de ténèbre qu’elle laisse apercevoir, parfois, dans une épiphanie, qui se dérobe toujours, à travers les trous, autour des concrétions de sens ?
 
Voilà pourquoi les discussions qui ont rythmé ces journées ne furent pas de ces trajets dessinés par des amers nous permettant de toucher à l’autre rive. Non, mais d’abord des voix, uniques, qui se croisent. Voix envoyées, lancées, face à la Ténèbre, paroles laissées qui, un temps peut-être, ont cheminé ensemble aux alentours, mais aussi parfois se sont opposées.
 
Des paroles qui se sont jouées des mots, du sens et de la forme, pour peut-être découvrir et laisser affleurer la ténébreuse ténèbre.

"Le mystique marche avec le soleil en sa main au cœur de visions qui illustrent la ténèbre"… Il y eut des mystiques en nos murs.
 
 
 
La ténèbre… le samedi
 
Philippe d’abord, qui nous a fait pénétrer dans une ténèbre biblique bien réelle, presque palpable, au creux de laquelle nous pouvons faire la rencontre de Dieu ou bien simplement nous perdre. Une ténèbre où, comme en un atelier, nous apprenons Dieu, bien lentement, pour nous risquer au dehors configuré à lui.
 
Marie-Blanche nous a montré la ténèbre à travers les figures que les peintres ont pu lui donner. Ombres ténébreuses ou ténèbres lumineuses, comme si, finalement, la ténèbre était ce moment d’abstraction qui, tout en fondant la toile, excède le vu et ouvre toute vision. La Ténèbre comme la condition de possibilités de tout acte de représentation.
 
Bernard, ensuite, nous a fait approcher ce moment apertural de la ténèbre. Celle dont on ne peut rien dire justement parce qu’elle permet le dire. La ténèbre comme seuil, à l’orée du commencement, ouvrant à l’existence dans la répétition du même.
 
Juan, "en rapprochant le fonctionnement théorique du trou noir tel que tentent de le comprendre les astrophysiciens de qui se trame dans certains grands romans du XXe siècle comme Cœur des ténèbres de Joseph Conrad, La Mort de Virgile de Hermann Broch ou Monsieur Ouine de Georges Bernanos, a tenté de montrer que la littérature ne mérite qu’on la prenne au sérieux que si elle est capable de s’approcher au plus près du chaos qui est sa matrice. Plonger, bien sûr, dans les ténèbres, est une nécessité aussi vieille que la quête d’Orphée : il faut coûte que coûte tenter de rejoindre Kurtz et Ouine là où ils se trouvent. Revenir cependant du gouffre, comme Marlow sur les pas de Dante, est une aventure tout aussi dangereuse. Peut-être même l’est-elle infiniment plus, si dans la remontée se révèle au grand jour la mission (et aussi le danger inouï) de l’art qui est de nous dévoiler ce que cache le cœur des ténèbres." (Voir, sur son site, la totalité de son intervention : "Un office des ténèbres à LaCourDieu")
 
Depuis sa camera obscura, Catherine, fait jaillir la lumière. Derrière cet œil sombre qui veut tout voir, l’artiste veut dé-composer le film, aller jusque là où l’image se perd avant l’autre. Tenter de saisir ce qui porte l’image et lance le mouvement.
 

La ténèbre… le dimanche

Avec Viviane, nous sommes entrés dans la nuit du mystique. Cette nuit réservée aux capables du jour. Nuit surgissant de la seule inadéquation de l’âme inquiète avec l’objet de son désir. Nuit d’une vie qui s’adapte à Dieu. Nuit qui ouvre au repos et au travers de laquelle c’est la chair qui travaille avec Dieu pour le salut du monde. (le texte complet : "Ténébre lumineuse ou sombre nuit ? La nuit mystique").

Franc, par la ténèbre, nous a menés jusqu’à l’écriture poétique de la métaphore du rien. Car la ténèbre, tracée au singulier, est une réduction, une déflagration, une conceptualisation qui nous permet de figurer… le rien. Métaphore de la ténèbre pour une ténèbre de la métaphore. De cette expérience du rien, le poème est comme la marque d’une traversée, le signe ou le signal d’un mystérieux retour.
 
Gisèle, enfin, a prêté sa voix aux ténèbres baudelairiennes. Plusieurs des poèmes offrant un ton particulier à la Ténèbre ont été lus. Comme si la voix qui les portait tour à tour ne naissait pas avec chacun d’eux, mais les précédait et leurs succédait longtemps. Poèmes flottant, comme des moments de la voix envoyée on ne sait d’où. Un doux nocturne aux accents fauréens pour ouvrir au crépuscule de nos journées.
 
"Que la ténèbre soit toujours notre table la plus ferme ! même si le château de cartes que nous essayons de faire tenir dessus, aujourd’hui et demain, s’effondre à chaque instant." Ces mots bleuissaient un peu plus le bas droit de la lettre d’Anne de Staël.
 
Renaud Escande 08 09
 
PROGRAMME DES JOURNÉES

Samedi matin
- Renaud Escande, éditeur de philosophie
- Philippe Lefebvre, bibliste
- Marie-Blanche Potte, historienne des jardins

Samedi après-midi
- Bernard Salignon, philosophe
- Juan Asensio, essayiste et critique littéraire
- Catherine Gfeller, artiste

Dimanche
- Viviane de Montalembert, essayiste
- Franc Ducrot, philosophe
- Gisèle Pierra, professeur d'esthétique théâtrale
 
 
 
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