Bouch'Bée


Viviane de Montalembert


Dans le nu de la vie, livre de Jean Hatzfeld, vol.1 vm 12 07

Une saison de machettes, livre de Jean Hatzfeld, vol.2 vm 12 07

Aden, livre d'Anne-Marie Garat vm 05 07

SUITE…

 

 
La stratégie des antilopes
de Jean Hatzfeld, Vol.3

ON RETROUVE ICI AVEC BONHEUR les voix des rescapés déjà rencontrés dans le premier livre: Claudine, Berthe, Marie-Louise, Sylvie, Francine, Jean-Baptiste, Innocent… auxquelles s’ajoutent celles d’Eugénie, Cassius, Angélique, Boniface. Mais à leurs paroles se mêlent aujourd’hui les propos des tueurs, libérés en 2003 : Ignace, Pio, Fulgence et les autres de la bande, déjà interrogés par Jean Hatzfeld alors qu’ils étaient encore emprisonnés, en attente de leur jugement.

Le gouvernement rwandais en effet a décrété, avec l’appui des grandes organisations internationales, un vaste plan de réconciliation nationale : le pays a besoin de ses Hutus cultivateurs qui fournissent à la population sa nourriture, comme de ses Tutsis administrateurs, plus habiles dans les bureaux et les universités. La vie doit reprendre. Le pardon est imposé. Les rescapés sont sommés de se taire et les tueurs de faire profil bas.

Mais les questions subsistent, ravivées par la confrontation des victimes avec les tueurs. “Aucune explication [des tueries] ne me satisfait. La méfiance excite ma curiosité. Je veux toujours savoir ce qui se passe derrière ce qui se passe”, explique Innocent (p.286). Les tueurs interrogés, quant à eux, ne sont pas si curieux. Fidèles à leur ligne de conduite, ils s’appliquent à adopter l’attitude la plus favorable. Dans leurs aveux, ils se limitent aux faits, qu’ils s’efforcent de minimiser. Mais, à la différence des tueurs, les questions des rescapés ne sont pas tournées vers les faits mais vers les personnes, leurs intentions profondes et le sens de leurs actes. Ils ne peuvent pas admettre que le respect ou le mépris de leurs vies puissent être affaire de circonstances, d’imitation et de convenance comme le disent les tueurs. Ainsi leur parole et celle des tueurs se croisent-elles sans jamais se rencontrer, sur deux plans de vérités irréconciliables.

Et que fait Dieu dans tout ça, dans ce pays si largement christianisé ? — Eh bien, Dieu fait comme fait Boniface, suis-je tenté de répondre en refermant le livre. Boniface est un rescapé des marais. Aujourd’hui, il est prêtre à Kibungo, sur la commune de Nyamata : "Je prêche à l’autel. Évidemment, je dois me contenir, je dois supporter quand je regarde, en face, ceux qui me poursuivaient avec la machette. [… ] Parce que la foi s’est ternie, je persiste. Si moi je ne crois pas que Dieu finit pas se sauver en toute situation, je me suis sauvé pour rien" (p.230).

Viviane de Montalembert 12 07

* Éditions du Seuil, coll. Fiction & Cie, Paris 2007. Le livre tire son titre de la course éperdue de six mille Tutsis chassés comme on chasse le gibier, dans la forêt de Kayumba.

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