Bouch'Bée


Philippe Lefebvre

 

Le Da Vinci Code, de Dan Brown
Comment écrire le contraire de ce qu'on annonce

Présentation du roman

LE DA VINCI CODE EST UN ROMAN EFFICACE, plein de suspense. Une petite machine comme beaucoup d'auteurs américains savent en faire. Lisant cet ouvrage, on a l'impression de voir se dérouler une série américaine palpitante, avec toutes les ficelles, très bien maniées, du genre. Le roman se pique aussi de proposer une théorie philosophique et religieuse : en gros, l'Église institutionnelle (appelée le plus souvent le Vatican) aurait caché la relation conjugale pourtant bien connue de Jésus et de Marie-Madeleine et aurait ainsi masqué "le féminin". Mais heureusement, à son arrivée en France, Marie Madeleine aurait enfanté un fils dont le père serait Jésus, ce fils aurait donné naissance aux premiers rois mérovingiens dont la lignée se poursuivrait secrètement jusqu'à nos jours.

Pour garder et perpétuer ce secret, une mystérieuse organisation se serait mise en place, héritière des Templiers : le Prieuré de Sion. Elle aurait comme ennemi le Vatican dont le bras armé actuel serait l'Opus Dei. Le Nouveau Testament serait alors la version officielle, fausse, d'une vérité que seuls les livres apocryphes auraient conservée : Jésus est un homme et pas un dieu (le Vatican aurait mis sur pieds cette idée pour se donner du poids), sa femme est Marie-Madeleine; tous deux ouvrent un temps nouveau : l'ère du Verseau, dans laquelle les humains échapperont au pouvoir des dieux et des églises pour vivre de manière autonome.
Le problème vient de ce que le roman se donne comme fiction (l'intrigue policière bien menée), mais qu'il défend aussi une thèse présentée comme réelle : le mariage d'un Jésus seulement humain et le mensonge de l'Église.

Des secrets de Polichinelle

Ces élucubrations théologico-philosophiques confinent à l'ineptie. Ce sont des poncifs de Café du Commerce ésotérique. Jésus marié à Marie Madeleine et à l'origine d'une lignée cachée et des Templiers, le Graal (dont tout le roman parle aussi) comme témoignage venu de ce Jésus humain : tout cela et le reste vient d'un bric à brac extrêmement courant (dans le rayon ésotérique des FNAC, on trouve des bouquins là-dessus rangés dans la sous-section "Graal"). D'une part, les traditions anciennes autour du Graal sont bien plus sérieuses que ces fictions et ne disent en rien ce que Dan Brown et consorts leur font dire ; d'autre part, le fameux goût du mystère que le Da Vinci Code est supposé procurer est en fait le plat réchauffé de ritournelles pseudo-ésotériques qui datent.
Il y aurait beaucoup à dire sur tout cela. Je me limite à deux points.

Au nom du "féminin", évincer les femmes

L'Église aurait occulté le féminin, "le culte de la déesse", comme dit Dan Brown, de manière ambiguë. Question : comment lui-même dans le Da Vinci Code met-il en scène les femmes ? Quel étonnement quand on lit le roman : il n'y a qu'un seul personnage féminin central. Il s'agit d'une femme policier que l'on croit être une meneuse et qui très vite déçoit cette attente. L'intrigue consiste précisément en ceci : cette femme doit être contactée par des hommes (un prof d'université et un savant anglais aristocrate) pour connaître le secret de ses origines, qui est aussi le secret du féminin tel que je viens de l'évoquer. Bref, au nom du féminin à remettre à l'honneur, la soi-disant héroïne est une femme que des hommes doivent instruire parce qu'elle ne comprend rien elle-même; il faudrait relever tous les passages où cette "héroïne" dit qu'elle est dépassée, qu'elle ne comprend plus, que les informations données par les hommes sont trop fortes pour elle.
Les personnages masculins autour d'elle sont aussi caractéristiques : un grand-père cultivé (conservateur du Louvres), un professeur célèbre de Harvard, un noble britannique sorti d'Oxford. Bref, un monde d'hommes, en situation de pouvoir, de savoir, d'avoir ; tous sont évoqués en termes très paternels, tous sont plus âgés que l'héroïne : le grand-père est un super-papa, le prof est la figure du papa que sa fille voudrait épouser, l'aristocrate est un papa pervers et raffiné. Il y a aussi à l'extrême fin du roman une vieille femme qui apparaît, la grand-mère de l'héroïne qu'elle retrouve. Cette dame est très convenable (même avec une scène de copulation rituelle à son actif qui n'a rien de très décoiffant ; elle appelle ça justement un "rite" ce qui rend la chose peu alléchante), et surtout elle nous apprend qu'elle a dû se séparer de son mari (le grand-père de l'héroïne) pour des raisons de sécurité. Le roman prétend défendre la place de la femme dans un monde trop masculin : comment ? En faisant dire à la seule autre femme après l'héroïne qu'il lui a fallu quitter son mari pour qu'il puisse agir seul et efficacement. Bref, si elle était restée avec lui, elle serait devenue un empêchement pour lui.
Le roman met en scène très exactement l'inverse de ce pour quoi il dit militer.

Seuls les savants comprennent

Il y aurait aussi à parler de l'usage de Léonard de Vinci qui donne son titre au roman. Il aurait représenté une femme, Marie Madeleine (et non saint Jean), à côté de Jésus dans son tableau "La Cène". Ce serait là une preuve que le secret (Jésus et Madeleine sont mariés) s'est perpétué, connu seulement de grands génies comme Vinci et propagé de manière indirecte par l'art. Une fois de plus, nous sommes dans un monde hautement culturel : seuls les spécialistes de Vinci comprennent. Il est vrai, dit Dan Brown, que Walt Disney aurait laissé le même genre de traces cryptées dans ses dessins animés, ce qui finit par faire un sacré méli-mélo : Vinci, Walt Disney, les Templiers, mais aussi Jean Cocteau et les terroristes musulmans.

Conclusion : attention au conservatisme caché

Le roman, tout en disant qu'il dévoile un secret révolutionnaire caché depuis toujours, défend donc un monde très traditionnel. Les femmes sont mises au courant par les hommes, elles encombrent les hommes dans leur action ; les hommes sont des papas qui savent ; il n'y a d'ailleurs que les hommes dans ce roman qui disent qu'on a occulté les femmes. Jamais aucune femme ne parle de sa condition de femme. C'est peut-être pour cela que le roman connaît un tel succès : il paraît tout remettre en cause, il effleure des questions en effet problématiques et que l'Église traite parfois de manière insatisfaisante ; en même temps, il ne touche finalement à rien. Le traitement littéraire des femmes dans le roman est extrêmement conservateur. C'est ce qu'indique l'expression "le féminin" dans le Da Vinci Code. La Bible nous apprend tout au contraire à employer l'expression "une femme, des femmes". Ce sont des femmes précises que nous sommes conviés à rencontrer, pas du féminin en vrac. Et quand une femme surgit, même Dan Brown n'est pas si malin pour dire quelque chose d'intéressant.

Philippe Lefebvre 11 05

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