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Philippe Lefebvre

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Dans la même série

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IIème Dim. de Carême : La transfiguration, une expérience connue Luc 9, 28-36 pl

IIIème Dim. de Carême : Changement d'identité Lc 13, 1-9 pl

IVème Dim. de Carême : La parabole des deux fils Lc 15 pl

Vème Dim. de Carême : La femme adultère et ses accusateurs Jn 8, 1-11 pl

Du même auteur

L'heure du Père Jn 12, 20-27

Paroles de l'extrême Mt 26, 14-25

La Passion du Christ Mt 26, 14-27, 66

"Heureux, heureux !" Lc 6, 17. 20-26

Le fils prodigue et son frère Lc 15

SUITE…

 

 

 

 

 

Dimanche des Rameaux, année C

L'impact du Vivant
Luc 19, 28-40
 
Parti de Jéricho, Jésus monte à Jérusalem. Il vivra dans cette ville une courte période d’enseignement et de polémique avant d’entrer dans sa passion. Aujourd’hui, il s’apprête à pénétrer dans l’antique cité et quelque chose se passe : les gens qui le voient circuler l’acclament, sans que l’on comprenne bien ce qui soudain les met en émoi. On a l’impression que les gestes accomplis, les bénédictions proférées et la joie manifestée excèdent largement les explications que l’on pourrait en donner. Jésus n’a pas choisi un jour marquant ; son entrée ne coïncide avec aucune fête qui confèrerait un éclat particulier à sa démarche. De plus, les gens ne sont pas censés le reconnaître à coup sûr. Même si Jésus a fait parler de lui dans le pays, il n’est pas un familier de Jérusalem et, faute d’affiches et de photographies, peu de monde peut véritablement l’identifier. Enfin, les disciples n’ont fait aucune campagne publicitaire pour préparer les foules. Le seul préparatif mentionné est la location d’un ânon à laquelle Jésus avait procédé. Mais cette monture modeste ne qualifie pas spécialement Jésus : nombreux sont ceux qui se déplacent sur des ânes à l’époque.
Alors que se passe-t-il ? Les anges de la résurrection appelleront Jésus "le vivant" : "Pourquoi chercher le vivant parmi les morts" (Luc 24, 5). Bien avant sa passion, Jésus est déjà ce vivant, même si, aux yeux de ses proches, cette puissance de vie venue du Père qui coule en lui ne s’est pas encore manifestée en plénitude. Or, quand survient en ce monde un homme ou une femme véritablement vivants, cela se remarque. Que signifie « vivant » ? Il n’est pas possible de donner de ce terme une définition simple et péremptoire, mais le mot n’échappe pas non plus à toute évaluation. Il évoque une certaine qualité de la chair, sa présence, son aura, il connote une liberté d’allure selon laquelle un être est là sans avoir rien à prouver. Jésus depuis son enfance sait que sa vie vient du Père : "Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père ?" dit-il à Marie et à Joseph alors qu’il n’a que douze ans (Luc 2, 49). L’Esprit que le Père envoie l’accompagne, le guide, le comble. Jésus est un Fils, un homme vivant. Il a toujours dit et fait ce qu’il avait à dire et à faire, sans se préoccuper de plaire ou de déplaire : c’est devant le Père qu’il évolue. Il sait en montant à Jérusalem qu’un combat décisif va s’engager, mais il s’avance avec détermination.
Les gens qui l’acclament aujourd’hui n’interviendront pas quand il sera bientôt condamné ; peut-être certains d’entre eux demanderont-ils sa mort. Pourtant, aujourd’hui, ils prophétisent. Devant le vivant qui vient parmi eux, ils trouvent des mots justes qui les dépassent, ils font allégeance au roi sans prendre totalement conscience de l’ampleur décisive de leurs gestes. Une force irrépressible, la force que déclenche la présence d’un vivant, anime ceux qui l’entourent et qui semblent désigner déjà un mystère dont vingt siècles plus tard nous explorons encore la richesse.
Ainsi procèderont la semaine sainte et la semaine de Pâques : les paroles, les gestes, les prises de position qui y sont mises en scène, échappent au contrôle exhaustif des personnes qui en sont les auteurs. Le Vivant, dans sa passion, sa mort et sa résurrection, accélère souterrainement dans son entourage les processus du corps, de l’âme et de l’esprit. Il porte chacun à aller jusqu’au bout de ses intuitions ou de ses réticences, de son exultation enfouie ou de sa fermeture masquée.
La royauté du Christ devient ainsi un sujet abondamment débattu lors du procès de Jésus. On peut partiellement le comprendre : les Juifs accusent Jésus de se faire roi et de rivaliser ainsi avec Hérode, avec Pilate et même avec l’empereur de Rome. Mais comment se fait-il que Pilate prenne ce problème tellement au sérieux ? Un petit rabbin juif qui lui est livré et dont des centaines de personnes réclament la crucifixion ne devrait pas l’inquiéter outre mesure. Or, c’est un Vivant, dans sa royauté, qui est devant lui : sa seule présence occasionne ces débats sur qui est vraiment roi.
Pourquoi du reste – et beaucoup s’interrogeront à ce propos autour de Pilate – pourquoi écrire officiellement sur la croix que Jésus est "le roi des Juifs" ? Cette royauté est ainsi moquée et dénoncée, certes, mais elle est aussi proclamée. De même la couronne d’épines blesse Jésus, elle est censée le ridiculiser ; elle est cependant bel et bien une couronne. Le baiser de Judas est un signe de reconnaissance qui permet de désigner Jésus à la troupe venue l’arrêter (encore une preuve qu’il n’était pas si identifiable que cela) ; mais c’est aussi un geste du rituel de l’onction messianique : le prophète Samuel, après avoir oint Saül, le premier roi messie d’Israël, l’embrasse (1 Samuel 10, 1). Déjà, au début de la semaine, la femme anonyme venue oindre Jésus d’un parfum précieux nous a désigné son corps comme celui de l’Oint du Seigneur – un geste déplacé pour les disciples qui ne le comprennent pas, un geste parfaitement adéquat selon Jésus, qui exprime la plénitude du sens en train de se manifester (Matthieu 26, 6-13 ; Marc 14, 3-9).
Chaque année, à pareille époque, j’observe les mêmes faits, les mêmes comportements contrastés, dans tous les lieux où je me trouve. Il y a quelques années, dans le magnifique jardin des Bénédictines du Mont des Oliviers à Jérusalem, lors d’une matinée embaumée et fleurie, résonnant de sons de cloches, je m’apprêtais à processionner avec d’autres prêtres. On nous donnait des palmes de deux mètres de haut à porter comme des sceptres ou des crosses épiscopales. Je dis à mon voisin, un vieux prêtre qui avait longtemps vécu dans des pays de mission : "Nous sommes rois aujourd’hui". Et, tout heureux, il acquiesça et malgré son âge se redressa dans sa chasuble rouge, la palme royale à la main. Un prêtre devant nous dans la procession se retourna alors en disant : "N’exagérez pas dans vos propos. Moi, je n’en dirais pas autant". Et chacun vécut ce jour à la mesure de son cœur.
Fr. Philippe Lefebvre 03 10

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