à Propos

Philippe Lefebvre

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"Habemus papam"

Un film de Nanni Moretti, 2011

 
Un nouveau Pape est élu au conclave et il s’avèrera, au moment de paraître en public au balcon de Saint-Pierre, qu’il ne peut assumer cette fonction. On fait venir un médecin, puis un psychanalyste, joué par Nanni Moretti, qui sera assigné à résidence au Vatican tant que la cure du Pape durera. Finalement, le Pape s’échappe dans Rome après une consultation (qu’il continuera à suivre) chez l’ex-femme du psy, elle-même analyste. Michel Piccoli assume le rôle du Pontife vacillant ; il donne une version convaincante de ce vieil homme docile, fragile, doux malgré quelques sautes d’humeur quand la pression devient trop forte. L’élection a été difficile ; après plusieurs tours de scrutin, la majorité s’est portée sur un cardinal effacé, Melville, plus apte à suivre qu’à guider comme il le dira lui-même. Le nom semble faire référence au romancier Melville dont un des personnages clés est Bartleby, un pauvre gars qui, dans son impuissance extrême, mène finalement tout son monde, en disant devant les tâches qu’on lui propose : « Je préfèrerais pas ». Que faire devant un homme qui se récuse, sinon accepter les conditions qu’il impose ?

Il y a du Bartleby dans ce Pape qui se dit inapte au service. Son aveu d’incapacité pourrait être touchant, mais le film ne l’approfondit pas vraiment, n’en analyse pas les aspects possibles. On trouve surtout des banalités sur – par exemple – "le Pape qui, après tout, est un homme". Dans un entretien avec le camerlingue, le psychanalyste s’entend dire : "Faites attention : vous parlez du Pape", et lui, il répond qu’il parle de l’homme, non du Pape ; le camerlingue renchérit alors : "c’est la même chose". Cette dernière réplique pourrait faire sortir l’échange – et le film - de la platitude : oui, l’homme et le Pape ne font qu’un. C’est cela qu’on aurait aimé explorer plutôt que ce poncif qui consiste à montrer un homme dans sa "déficience-un-point-c’est-tout", dans sa vulnérabilité péremptoire. Non que je rejette la faiblesse, bien au contraire : j’aurais justement aimé voir ce que peut un homme qui ne peut plus. Voilà ce que la Bible ne cesse de travailler : ainsi, pour fonder un peuple, Dieu accoste-t-il Abraham et Sara, un vieux monsieur flapi et une vieille dame stérile qui ne vivent pas l’un avec l’autre une relation aboutie. L’impuissance de la chair comme lieu ordinaire de l’initiative : peut-être était-ce une disposition intéressante pour un Pape. Si j’ai bonne mémoire, l’apôtre Pierre, nommé à la tête du troupeau par Jésus, n’était pas particulièrement compétent ni même fiable : n’a-t-il pas renié le Christ ? Puis, une fois chef des apôtres, n’est-il pas revenu sur son engagement auprès des païens au grand dam de Paul ? Il ne brillait pas non plus par sa formation, et d’aucuns s’étonnèrent qu’il ose parler en public. On trouverait encore bien des prophètes et des leaders qui refusent leur charge quand elle leur est conférée (Moïse, Jérémie, Jonas…).

Le film se contente de slalomer au moyen d’embardées psychologiques. Quand le Pape n’est pas d’accord, il s’échappe. Quand on l’embête trop, il se met en colère. Et puis, il prend le bus et dort à l’hôtel : cela doit montrer, si j’ai bien compris, qu’après la déconnection qu’avaient entraînée ses responsabilités cardinalices, il retrouve le monde réel et quotidien. Là encore, pourquoi pas ? Mais c’est le genre de clichés dont on est un peu saturé. Le Pape ne peut dire à son analyste qu’il est Pape ; quand celle-ci lui demande quelle profession il exerce, il répond "acteur" - on apprend ensuite qu’il a en effet tenté dans sa jeunesse le conservatoire d’art dramatique. Ce sera le fil rouge du film : le lien, la superposition, entre le métier de prince de l’Église et celui de comédien. Le Pape est d’ailleurs retrouvé dans un théâtre par les cardinaux venus en grand habit : cardinaux et gardes suisses plus théâtraux que les acteurs, la pompe ecclésiastique comme comédie. Oui, oui, bien sûr, mais tout cela a un goût de déjà vu et une sorte d’évidence. Nous ne vivons plus suffisamment dans un monde régi par l’Église pour que ces suggestions soient vraiment originales et subversives.

Le film propose quelques scènes mémorables : l’élection du cardinal Melville qui voit s’approcher de lui tous les cardinaux en un plan qui rappelle, dans La nuit des morts vivants, l’avancée des zombies ; le premier entretien avec le psy au milieu des cardinaux ; le match de volley entre cardinaux, les équipes représentant leurs continents d’origine. C’est drôle, bien mené, mais trop long pour cette dernière séquence. On se demande en fait si Moretti a vraiment quelque chose à dire. Il n’est même pas féroce : les cardinaux sont des vieux messieurs plus vrais que nature avec leurs petits côtés et leurs aspects sympathiques. Moretti veut-il montrer qu’il n’est plus nécessaire de guerroyer contre les "apparatchiks" de l’Église parce qu’ils représentent un monde en voie d’extinction, trop satellisé, trop vieux pour qu’on s’oppose à lui ? Je ne sais pas. Mais s’il n’apparaît pas comme un ennemi implacable, Moretti semble ne pas avoir non plus de vision du monde à proposer. La très longue scène du match intercontinental constitue la principale échappatoire du film, elle forme une sorte de remplissage qui tient lieu d’idée : le ludique et le festif comme évitement des vraies questions. Philippe Murray pourrait ici être invoqué*.
 
Tout en soulignant lors du fameux match que l’Occident est prépondérant dans la représentation des cardinaux – il n’y a par exemple que trois Océaniens – le film est le produit d’un occidental talentueux, saturé de culture (Tchékov, Freud…), mais sans but, un peu exsangue. Le psychanalyste incarné par Moretti répète qu’il est le meilleur et que sa femme l’a quitté parce qu’elle ne supportait plus sa supériorité, bien qu’elle fût la meilleure après lui. Cependant, la théorie que sa femme défend – la « carence de soins » dans la petite enfance – est présentée par le psy comme une baliverne. Le Pape lui-même dira qu’il n’a rien compris à cette doctrine qu’elle lui a servie pour expliquer son cas. Bref, si la foi chrétienne fait figure d’illusion, les spéculations de la « seconde meilleure » analyste paraissent tout aussi vaines. Peut-être est-ce finalement la proposition de ce film : il n’y a pas grand chose à dire ni à découvrir ni à vivre. Chacun est prisonnier de ses incapacités ou des élucubrations qu’il a mises au point. Dans un film précédent de Moretti, La chambre du fils, j’avais été frappé par l’inaboutissement de l’action : un couple a perdu un fils dans un accident. Une sorte d’anamnèse a lieu qui n’amène en fait nulle part.

Il ne reste pour moi de ce film qu’un souvenir presque fellinien des processions et des jeux des cardinaux dans une ambiance vaticanesque bien saisie, et qu’une ambiance ludique, ironique mais sans plus. Le vieux Pape démissionne : et alors ?
 
Philippe Lefebvre
 

* Voir par exemple de cet auteur Festivus festivus, Flammarion, 2008 ou Désaccord parfait, Gallimard, 2000.
 

 

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