Philippe Lefebvre

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SUITE…

Millenium

"Les hommes qui n'aimaient pas les femmes",

vol. 1, de Stieg Larsson


"Millénium" est une trilogie : trois polars qui s'enchaînent, de plus ou moins six cents pages chacun. Cette œuvre est nimbée de l'histoire de sa parution : l'auteur âgé de cinquante ans a remis le manuscrit de ces trois gros volumes à son éditeur, puis il a fait une crise cardiaque dont il est mort (2004). Les livres ont été rapidement publiés, rapidement traduits aussi, en particulier en français (à noter qu'une fois de plus les éditions Actes Sud nous font découvrir un auteur important et son monde). Je ne parlerai que du premier volume, le seul que j'aie lu à ce jour, sans déflorer l'intrigue puisqu'il s'agit d'un polar plein de suspens. Plusieurs choses m'ont plu dans ce livre. D'abord c'est un livre de notre époque. L'auteur était journaliste suédois, spécialiste de questions économiques, engagé politiquement, féru de science-fiction (une littérature résolument moderne). Le monde qu'il présente dans son œuvre est notre monde (l'action se passe essentiellement en Suède), à l'heure de la mondialisation, des marchés financiers, du divorce parfois criant entre les entrepreneurs et les affairistes. C'est un monde aussi qui est sorti du religieux : la foi (protestante) demeure en arrière-fond, avec — épisodiquement — un vieux pasteur atteint d'Alzeimer et une jeune pasteure sympathique, et aussi quelques citations bibliques consacrées aux sacrifices de l'Ancien Testament. Les personnages vivent des relations amoureuses "post-modernes", pour lesquelles on parlera davantage de "partenaires" que de maris et de femmes. Ils sont en tout cas intéressants, évoqués souvent à la manière d'un journaliste, sans introspection abusive, avec précision et un goût pour les personnalités "alternatives".

Une des héroïnes, Lisbeth Salander, est ainsi une asociale quand même socialisée, une fille en rupture de scolarisation qui s'est formée autrement et en remontre aux plus chevronnés. Cette femme, dans le monde relativiste et complexe où elle évolue, développe un discernement étonnant : pour elle qui a subi toutes sortes de manques et de malheurs qui handicapent sa vie quotidienne, le manque et le malheur ne peuvent devenir des arguments pour évacuer les responsabilités des abuseurs (voir la conversation cinglante des pages 466-467 et l'analyse des pages 544-545). C'est elle qui maintient comme critère d'évaluation d'un homme la question : "aime-t-il les femmes ?" (d'où le titre du livre). Aimer les femmes ne relève en rien alors d'un tempérament, d'une orientation ou d'une technicité sexuelle ; c'est plus objectivement le fait pour un homme de reconnaître leur présence et de ne pas penser immédiatement cette présence en termes de rivalité, de sujétion ou de jeu. On pourrait dire encore beaucoup de choses sur ce livre qui exprime tellement notre époque et les questions des pays occidentaux (parler par exemple de l'exploration des frontières entre légalité et illégalité). N'en disons pas plus et engageons le lecteur à lire ce livre bâti comme un enchâssement de deux enquêtes, toutes deux haletantes jusqu'au bout.

Philippe Lefebvre 01 08

* Collection actes noirs, Actes Sud, 2006 (roman traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain. Première parution en suédois : 2005).