Précédemment : ♦ La pénitence, comme ♦ De la soumission |
Jalons
L’annonce« Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère… » (Jean 19, 25). À nouveau elle est là, pour une naissance une fois encore. Autrefois déjà, pour que ce fils vienne au monde l’ange avait sollicité son consentement. « Je suis la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon ta parole ! » (Lc 1, 38), avait-elle répondu. Elle avait dû alors s’en remettre à Joseph quant à la décision qu’il allait prendre car, s’il la dénonçait, enceinte hors mariage selon la Loi elle serait lapidée. La menace de mort, déjà, fut la porte étroite par laquelle elle avait dû passer pour que soit libre de toute forme d’asservissement cette vie qu’elle allait porter. Pour mettre Dieu au monde, en effet, le bon vouloir et la vertu n’y suffisent pas. Cela ne peut être, n’ayant plus rien ni personne à soi et prenant tous les risques, que de faire ce saut en Dieu. La foi de Joseph, sa confiance, elle aussi fut à ce prix. Qu’il n’y ait que Dieu… et rien ! – « ni la chair, ni le sang, ni aucun vouloir d’homme » (Jn 1, 13) – qui justifie une telle incursion dans l’inconnu de la vie qui se donne. « Ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l'enfant qu'elle a conçu vient de Dieu, entendit-il, alors il la prit chez lui » (Mt 1, 20). Les frèresPlus tard, alors que ce fils est devenu un rabbi reconnu qui attire derrière lui les foules,voici qu’on vient lui dire : « Ta mère et tes frères sont dehors, ils te cherchent » (Lc 8, 20). À n’en pas douter, ce sont "les frères" qui sont à l’initiative de la démarche, ceux-là même qui, aux dires de l’apôtre Jean, « ne croyaient pas en lui » (Jn 7, 5) – car on disait qu’il était fou ! (Jn 10, 20). Et ils ont emmené avec eux la mère – devenue ainsi l’otage des frères – pensant par son appui peser sur lui assez fort pour qu’il leur revienne et se soumette. Mais pourquoi les a-t-elle suivis ? On s’en étonne… peut-être doute-t-elle en cet instant, non pas de lui, mais d’elle-même et de la part qu’elle doit prendre encore à sa vie. Alors il répondit : « Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la mettent en pratique » (Lc 8, 20-21). Par cette seule parole qui la désigne comme cette mère-là qui écoute la parole de Dieu et la met en pratique, il la rappelle à elle-même et, dans le même mouvement, la libère du pouvoir des frères où elle a pu un moment se fourvoyer – un trouble comparable, peut-être, à ce que furent pour lui les tentations (Mt 4). Devenu un homme, il lui renouvelle ainsi son alliance et lui donne rendez-vous à la Croix. Car, là aussi, comme lors de sa conception, il lui faudra son consentement et, plus encore, sa collaboration. La mère« Un signe grandiose apparut dans le ciel : Une femme, enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. […] Elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail d'enfantement. » (Apocalypse de Jean 12, 1-2) Par sa présence auprès de lui à la Croix, et par son acquiescement, la mère collabore à l’offrande qu’il fait de sa personne – où elle a sa part, nécessairement. Elle crie dans les douleurs de l'enfantement. On est loin de l’image de la mère éplorée, victime de la cruauté des hommes qui lui arrachent son enfant. C’est d’un accouchement qu’il s’agit ici. L'Écriture le dit. À ce stade, la mère n’est plus celle qui protège mais, en travail d’enfantement, celle dont tous les efforts et les souffrances convergent pour permettre l’expulsion du fils à naître. « C’est comme si elle faisait ce que la mère et l’épouse voudrait éviter comme étant le plus terrible [… et lui disait : ] "Oui, souffre, oui, meurs." Comme si la mère devait en son amour manier toutes les armes dont par haine les pécheurs ont usé contre lui*». Il ne s’agit pas ici de le mettre "au monde" une seconde fois, ce Fils qui a déjà si bien accompli sa course – "en conquérant joyeux", dit le psaume (18, 6) – mais, tout au contraire, de le soustraire au monde en le rendant au Père, lesté de la chair dont elle l’a gratifié. Le filsJésus, voyant sa mère, et auprès d'elle le disciple qu'il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et, dès ce moment, le disciple la prit chez lui (Jn 19, 25-27). Marie est désormais la mère "bénie parmi les femmes" en laquelle se reconnaît toute femme qui, par sa présence auprès d’un homme, atteste l'imminence du seuil à franchir pour entrer dans la béatitude promise, le confirme dans son épreuve et l’assigne à sa place dans la gloire du Père. vm 09/22 * H. U. von Balthasar, « CORDULA, ou l’épreuve décisive », Beauchesne, 1968, p. 31-32 |