Viviane de Montalembert
Précédemment :
♦ De l'impuissance au principe de la décision morale
♦ La fraude mystique de Marthe Robin
♦ Magie de Noël : la naissance…
♦ L'amitié, de G. Agamben
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Résilience ou… Résurrection ? Boris Cyrulnik ou Axel Kahn
"Résilience", le mot magique
Si le concept de "résilience" aujourd'hui est à la mode, c'est qu'il relance en notre temps si perturbé le fol espoir d'une victoire possible sur le mal. Au-delà de l'épreuve, il laisse entrevoir le relèvement. Le mot nous est venu de l'univers de la physique où il désigne la capacité d'un matériau à sauvegarder, sous l'effet d'un choc, sa forme propre. Transposé en psychologie, il tend à définir l'aptitude d'un individu à maitriser les effets du traumatisme et se rétablir après l'épreuve.
Pour beaucoup, c'est une question de caractère, ou de volonté, une aptitude naturelle à encaisser les coups, à ne pas se laisser arrêter par l'adversité. Pour Boris Cyrulnik, qui avec son air de clown triste s'est fait dans les médias le pape de la résilience, c'est aussi et surtout une question d'histoire et de destin. À l'enfant qui– dans le jargon du thérapeute – n'aura pas bénéficié dans le ventre de la mère de la "niche affective" nécessaire à son développement, ni connu dans son jeune âge "les attachements sécures" qui poseront les bases de son équilibre, il sera difficile – voire impossible – de triompher des obstacles qui se dresseront sur son chemin. En un raccourci saisissant, de Marilyn Monroe il écrit : "Marilyn n'a pas connu la tendresse, enfant. Elle est devenue fantôme"… sans même un instant se poser la question de la décision personnelle et de la liberté de cette femme dans une histoire qui selon lui, depuis le début, allait vers sa perte ! De la résilience qui s'annonçait comme une promesse, il fait une condamnation.
D'où l'on comprend que surmonter le mal n'est pas le vaincre, et la résilience n'y suffit pas. Il y faut autre chose, une ouverture, Dieu peut-être… ravalé par Cyrulnik dans ses écrits au rang des fictions ordinaires produites par le cerveau humain en réponse à l'angoisse qui l'étreint.
Tel est "l'homme qui se confie dans l'homme, qui fait de la chair son appui et dont le cœur s'écarte du Seigneur. Il est comme un chardon dans la steppe : il ne ressent rien quand vient le bonheur, il se fixe aux lieux brûlés du désert, terre salée où nul n'habite1", dit le prophète.
Surpris par la joie
Axel Kahn fut médecin lui aussi, et Président de la Ligue contre le cancer. Dans les messages2 qu'il nous laisse au seuil de mourir d'un cancer foudroyant, il n'y a pas Dieu non plus – "Je ne fais toujours pas l’hypothèse du bon Dieu", écrit-il –, mais il y a cette ouverture, une curiosité, et rien qui soit joué d'avance : "J’ai depuis longtemps la curiosité de ce que sera mon attitude devant la mort. Il y a ce que l’on désire qu’elle soit et ce qu’elle est".
Aujourd'hui, il le constate : "Je suis comme j’espérais être : d’une totale sérénité". Mais d'une sérénité qui n'exclut pas le combat, l'effort pour donner sa vie sans toutefois la trahir : " La mort ne me fait pas peur. Je sais in fine qu'elle va gagner, mais elle ne m'aura pas dans l'angoisse, elle ne m'aura pas dans la terreur. Elle m'aura avec un petit sourire ironique aux lèvres".
Dans ses propos, certes, il n'y a pas Dieu, mais il y a les autres. Car ce combat, Axel Kahn le mène aussi pour beaucoup d'autres dont il sait qu'"en majorité peut-être, ils sont terrorisés à l'idée de mourir. Je veux leur dire : “Ne soyez pas terrorisés !”" C'est un apostolat.
La réalité à laquelle il nous convie cependant ne s'arrête pas là. Car voici qu'à la sérénité acquise vient s'ajouter une autre "bonne nouvelle", une émotion à laquelle il ne s'attendait pas : le bonheur, la joie ! "Il y a des moments de bonheur intense, alors même que l'on sait que l'on va mourir quelques semaines après", s'étonne-t-il.
Après l'exhortation, vient alors le témoignage : "Ça, je veux en témoigner pour les personnes malades du cancer, pour toutes les autres." Au journaliste qui l'inrerroge pour savoir s'il ne voudrait pas décider, "comme l'ont fait beaucoup d'autres", de choisir le moment où il partirait, il rétorque : "Je ne laisserai à personne le droit de me priver de l'éventualité des moments de joie intense que j'ai encore à vivre dans les semaines qui me restent à vivre !"
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Vivre ! Au seuil de mourir, le mot dans votre bouche, Monsieur, revient avec insistance. Car, à travers cette "joie intense", c'est bien de "vie" qu'il s'agit ici, n'est-ce pas ? Une vie en surrection, qui coule de source et dont on ne sait ni d'où elle vient, ni où elle va, mais sur laquelle vous interdisez que l'on mette la main de crainte de la tarir. "Je ne fais toujours pas l’hypothèse du bon Dieu", avez-vous écrit. Eh bien, il semble que ce "toujours pas" appelle une suite.
"Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle, la sauvera3", lit-on dans l'évangile.
Il est fort à parier que d'ici peu, Monsieur, vous apprendrez que Dieu depuis longtemps a fait l'hypothèse d'Axel Kahn.
Viviane de Montalembert 06/21
_____________ 1. Jérémie 17, 5-6 2. Cf bfm tv 21/05/2021 - Facebook 22/05/2021 3. Marc 8, 35
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